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VOYAGE DES FRÈRES LANDER.

apparent ; le plus grand inconvénient qui s’en soit suivi, c’est la fatigue de sortir de la barque et d’y rentrer toutes les fois que cela devenait nécessaire : aussi est-ce avec un plaisir infini que nous avons pris terre, vers deux heures après-midi, sur la rive gauche de la rivière ; car nous étions épuisés par nos manœuvres du matin, et enchantés d’en avoir fini.

À peu de distance du bord, le pays était tout parsemé de groupes de huttes, dont l’ensemble est appelé le village de Soulou : nous établîmes nos quartiers dans une large case près du lieu du débarquement.

Le vieux chef du village nous a accompagnés, quand nous avons quitté notre hutte pour nous embarquer, et il a recommandé au roi du canot d’être particulièrement soigneux de ses passagers. « Soigneux ! » reprit l’homme, « je vous en réponds, ne sais-je pas que des hommes blancs, c’est pis qu’une cargaison d’œufs, et qu’il faut prendre autant de précautions pour eux. » Peu après nous supplions ce même homme d’être un peu plus vif et actif dans ses manœuvres, car dans sa nonchalance, il nous laissait dépasser par tous les bateaux. « Les rois, répliqua-t-il gravement, les rois ne voyagent pas en courant comme le commun des hommes : je prétends vous mener comme des rois. »

On nous avait tellement fait peur d’un des passages du fleuve, que nos gens mirent pied à terre et suivirent long-temps les rives, jusqu’à ce que, le danger passé, nous les reprissions à bord. Le péril n’avait pas été exagéré, et l’aspect du fleuve n’est ici guères moins effrayant qu’à Boussa : à notre arrivée à ce passage formidable, nous avons découvert un mur de rochers noirs qui barraient en travers le courant, ne laissant qu’une étroite ouverture où les eaux se précipitent avec fureur, tourbillonnent, entraînant tout ce qu’elles rencontrent ; nos bateliers, aidés de bon nombre des naturels placés sur les rocs, de chaque côté de l’unique canal, et jusque dans l’eau à l’arrière du canot, l’ont levé à force de bras et transporté dans la partie calme et tranquille des eaux. La dernière difficulté que nous opposaient les roches et les bancs de sable était maintenant surmontée. Peu après, nous dépassâmes les îles après lesquelles il n’y a plus, assure-t-on, un seul endroit dangereux dans le Niger : c’est ici qu’il se déploie dans toute sa majesté : pas un roc, pas un banc de sable ne tachent ses larges eaux, ses rives reprennent leurs plus riants aspects ; et en ce moment une forte et rafraîchissante brise, qui avait soufflé tout le matin, donnait aux flots le mouvement de ceux d’une mer mollement agitée. Dans la matinée, nous avons côtoyé deux charmans îlots couverts de verdure et de fleurs, qui, à peu de distance, ressemblaient aux fabuleux jardins des Hespérides. Je ne crois pas qu’il y ait sur terre un lieu plus ravissant.