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VOYAGE DES FRÈRES LANDER.

possédions déjà, on reconnaît, dès le premier coup-d’œil, que l’exploration des deux voyageurs anglais ne procure aux cartographes que quelques détails nouveaux, mais aucune grande innovation bien tranchée.

Quoi qu’il en soit, le voyage des frères Lander, bien qu’offrant un résultat prévu, n’en a pas moins tout l’attrait d’un voyage de découvertes ; car si le point géographique qu’ils ont définitivement tranché ne causait guère plus de doutes à l’esprit des hommes spéciaux, que déjà toutes les cartes nouvelles donnassent le tracé approximatif des bouches du Niger, et qu’il eût même été possible d’inscrire les noms de quelques-uns des lieux riverains traversés plus tard par les deux frères, il faut toutefois se hâter de proclamer que ce n’est point à de pures questions cartographiques qu’est borné l’intérêt d’une exploration de ce genre, et qu’en première ligne il faut placer les pays et les peuples.

Ceux que les deux voyageurs ont visités depuis Yâoury jusqu’à la mer, étaient entièrement inconnus ; leur récit a donc à cet égard tout l’attrait de la nouveauté. Un talent d’observation qui a manqué à leurs devanciers pour les régions déjà parcourues, donne en même temps à la première partie de leur relation un intérêt réel.

Nous en allons donner quelques échantillons qui nous ont été communiqués par le traducteur de la Relation des frères Lander, dont l’original, encore inédit, doit paraître prochainement à Londres, et sera presque aussitôt suivi de la publication, à Paris, de la version française déjà préparée par madame Louise Sw.-Belloc.

* A…
MARCHE DE OUAOU À BEDJY.

(Jeudi, 1er avril). Un violent ouragan mêlé de tonnerre, que l’on appelle tornado sur la côte, a éclaté cet après-midi, et nous a confinés dans la pire chambre de la pire des huttes, jusqu’à ce qu’il se fût apaisé et que le temps fût redevenu beau. À trois heures nous sommes partis, salués de sifflets, de gémissemens, d’acclamations, par une multitude de gens de tout sexe et de tout âge, depuis l’enfant jusqu’au vieillard : toute cette foule nous suivait marchant sur nos talons, et remplissant l’air de leurs rires et de leurs railleries. Jamais baladin n’excita dans une ville d’Angleterre, aux fêtes de la Pentecôte, plus de rumeur et de bruit que nous, en quittant Wow ce soir-là. Mais c’était jour de foire et de folies, et la licence était de saison. À peine avions-nous fait une douzaine de pas hors de l’enceinte de la ville que nous fûmes assaillis par une formidable averse, qui, en un moment, nous trempa jusqu’aux os. Le ravin, ou espèce de creux dans lequel nous marchions, nommé à tort un sentier, fut bientôt le lit d’un ruisseau rapide, et il nous fallut poursuivre ayant de l’eau jusqu’aux genoux. Nous traversâmes ainsi une forêt de l’aspect le plus mélancolique, et atteignîmes le village de Sagbou, à environ huit milles de Wow. Nos vêtemens