Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.
219
BRAUNSBERG LE CHARBONNIER.

pas de mon avis que le temps approche où nous devons penser à nous séparer ?

Ces paroles me surprirent au milieu de mes rêves, et tombèrent dans ma pauvre tête comme une bombe qui éclate au milieu d’un escadron. Je fus bouleversé, éperdu, anéanti. Je fis un signe de tête, que le baron put interpréter à sa guise. Au même instant les postillons arrêtèrent notre voiture à la porte d’une auberge isolée, jetée sur une crête de rocher sauvage, dans les Alpes tyroliennes. Le baron refusa de souper. Il annonça qu’on pourrait entrer de bonne heure dans sa chambre le lendemain matin ; puis il me serra la main avec bonté, ce qui ne lui était pas arrivé depuis bien long-temps ; puis il s’enferma dans sa chambre, en m’engageant à monter dans la mienne.

Cette conduite du baron, loin de me calmer, me jeta dans des transports de furueur indicibles. Je ne voyais dans cette bienveillance qu’une cruelle ironie, dont je ressentirais bientôt les effets. Plus de doute ! le baron me chassait : il voulait me déshériter de cette fortune, de cette puissance que je regardais déjà comme ma propriété. Je m’arrêtai plus opiniâtrement que jamais à cette monomanie de meurtre qui me poursuivait incessamment. Je sortis un instant de l’auberge. J’allai m’inspirer au bruit des torrens tombant des montagnes, précipitant de sombres sapins dans les fondrières, roulant des rochers comme le vent fait voler des grains de sable. Mon âme se mit à l’unisson de cette nature de mort et de destruction. Minuit sonnait à l’horloge de bois de l’hôtellerie. Je saisis de nouveau mon poignard, et j’allai me coucher sur le carreau, en travers de la porte du baron, bien décidé à le tuer sur la place aussitôt que la porte s’ouvrirait.

J’entendis le baron parler et marcher dans la chambre pendant une grande partie de la nuit, une forte odeur de charbon s’infiltra par les fentes qui divisaient la porte ; puis le bruit cessa tout-à-coup. Je pensai que le baron s’était endormi sur ses trésors ; et cette idée de sommeil et de trésors faisait parler plus haut dans mon âme le démon de la cupidité. Le jour vint ; le cœur me battait violemment ; mais la porte ne s’ouvrit pas en-