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mans qui étaient restés à terre, et de mon front, j’allai frapper l’angle d’une massive cheminée de marbre. Effrayé du bruit de ma chute, je me relevai en toute hâte, et je regardai Braunsberg au visage. Ses yeux étaient toujours à demi voilés, mais un frémissement par tous ses membres m’indiqua qu’il allait se réveiller. Je courus aussitôt me cacher dans mon lit, et je contrefis le souffle d’un homme endormi.

Le baron en effet ne tarda pas à se réveiller. Ses yeux redevinrent mobiles, et prirent quelque peu d’éclat. Il ne fut pas faiblement étonné de se trouver dans cet état de nudité, et occupé à une pareille œuvre ; il se hâta de faire disparaître toutes les traces de son travail nocturne, et n’oublia pas surtout de fermer les trois serrures de la boîte, où reposait avec cette machine, produit de son génie, le secret de sa puissance et de sa richesse. Lorsqu’il eut jeté un regard vers moi, il devint pâle et livide. Il prit un de ses pistolets, que le valet-de-chambre avait déposés sur la cheminée, et il en arma le chien, en m’appuyant le canon sur la poitrine. Je ne bougeai pas plus qu’un mort, tant l’espoir m’avait donné de force d’âme et de courage. Le baron, satisfait de son épreuve, et ne doutant pas que mon sommeil ne fût naturel, alla se coucher, en attendant le jour. Jusqu’au jour, nous restâmes immobiles l’un et l’autre ; mais pas un de nous deux ne ferma l’œil un instant.

Le lendemain nous continuâmes notre route ; mais, pendant plusieurs jours, je ne pus ressaisir l’occasion que j’avais manquée. Le baron trouvait sans cesse un prétexte pour éviter de rester en tête-à-tête avec moi. La nuit surtout il s’enfermait dans sa chambre. Tout le jour, nous courions la poste. Mon infernal projet de meurtre ne me quittait pas un instant et courait la poste entre nous deux.

Le baron, lui, continuait à se bien porter. Le régime de la grande route lui réussissait à merveille ; mais sa mélancolie augmentait tous les jours. Tous les jours il devenait plus sombre, plus ennuyé, plus taciturne. Nous ne nous adressions pas la parole quatre fois dans une journée. Un soir, le baron me dit :

M. Vilshofen, c’est assez voyager comme cela. N’êtes-vous