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son lit, avant de s’endormir. Enfin j’entendis le bruit de son souffle devenir plus égal. Il ne bougea plus : il était plongé dans un profond sommeil. Je me levai tout droit, pour écouter ce bruit, qui m’éjouissait l’âme, ce bruit qui m’annonçait que mon règne à moi pouvait commencer, si j’avais le courage de commettre le plus épouvantable de tous les crimes. Je froissai machinalement le manche de mon poignard entre mes doigts, et je regardai tour-à-tour et la boîte d’acajou avec ses trois serrures à secret, et le visage du baron, qui goûtait un repos tranquille et sans remords. La force morale me manqua, pour commettre un crime. Pour commettre un crime, j’avais besoin d’une excitation physique plus violente et plus immédiate que la vue d’une cassette et d’un homme endormi ; et puis ce sommeil d’un homme, qui ne m’avait fait que du bien, d’un homme qui s’était reposé sur mon honnêteté, me défendait contre moi-même, me gardait contre l’esprit infernal qui me tentait.

La voix du baron interrompit mon hésitation. Il balbutia quelques mots inintelligibles. Je reposai en toute hâte la tête sur mon oreiller, et je tins mon poignard prêt à tout événement. J’aperçus le baron se lever tout nu comme un fantôme. Il marcha lentement dans la chambre sans détourner la tête. Je remarquai que ses paupières restaient à demi entr’ouvertes, et que ses yeux étaient mats et ternes comme les yeux d’un mort. J’eus peur : un frisson me courut partout le corps : je sentis mes cheveux se lever sur ma tête. Le baron s’inclina vers la cassette. Il l’ouvrit au moyen d’une petite clef qu’il portait toujours sur lui, et il en tira quelques morceaux de charbon qu’il posa sur le carreau avec la plus délicate précaution. Puis il sortit encore de la boîte une machine d’une excessive complication, qui dégageait par intervalle des étincelles électriques d’une force et d’une lumière prodigieuses. Je me rappelai alors mes leçons de chimie de l’université de Goetingue, où le professeur nous prouvait que le diamant n’était autre chose qu’un morceau de carbone cristallisé ; que la nature, pour le créer, ne procédait pas autrement dans les entrailles de la terre ; et que si le génie de l’homme pouvait jamais découvrir un foyer aussi puissant que