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Londres. Fêtes magnifiques, des sommes énormes jetées chaque jour au vent, si bien que je commençai à m’étonner de cette prodigalité, de ces trésors qui semblaient une source toujours renaissante. Mes idées d’enfance sur la magie, sur la démoniomanie me revinrent en mémoire, un moment je fus tenté de me croire en compagnie d’un sorcier.

Le baron, cependant, produisait dans les salons de Paris la même sensation que dans les routs de Londres. C’était à qui le saluerait, lui donnerait, en passant, une poignée de main, lui dirait en passant : Bonjour, baron ! Les femmes se jetaient à sa tête. Les visites de toute espèce, les sollicitations grêlaient chez lui. Il fut obligé, au bout de huit jours, de se faire consigner à la porte de son hôtel.

Cependant le baron commençait à s’ennuyer. — Ce n’est que cela ! disait-il avec un sourire amer après chaque plaisir goûté, après chaque desir satisfait ; rien que cela ! misère ! Nous rencontrâmes une fois, au détour d’une allée du bois de Boulogne, une jeune femme toute blonde et naïve. Des yeux bleus comme un ciel d’Orient, une taille svelte, un corps dessiné à la Raphaël. Qu’elle était belle cette jeune femme ! Le baron la regarda un instant. Elle détourna les yeux. Le baron allait peut-être passer outre, lorsqu’un jeune homme descendit d’un beau cheval anglais qu’il abandonna aux mains de son domestique pour venir saluer la dame, laquelle lui sourit avec une grâce toute particulière, et lui dit quelques mots tout bas, en penchant voluptueusement sa tête sur l’épaule de son amant ; car c’étaient l’amant et la maîtresse, ainsi que nous l’apprîmes le lendemain. Ils devaient se marier le lendemain. Ce jeune homme était aussi élégant, aussi beau que la jeune femme était belle. Bon Dieu ! comme ils avaient l’air de s’aimer. Ils ne prirent plus garde à nous, et ils s’enfoncèrent dans une allée détournée. Le baron me fit signe, et nous les suivîmes à distance par un instinct de curiosité. C’était plaisir de voir comme les jeunes gens s’aimaient ; ils se tenaient par la main. La jeune femme s’entourait des bras de son ami, et lui jetait des baisers qu’elle croyait bien inaperçus. Le jeune homme se mirait aux yeux