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Il s’occupe, je pense, de conjurer les démons. Il fait de l’alchimie, il travaille au grand œuvre. Charmant ! charmant ! parole d’honneur. Il faut voir notre fou, M. Vilshofen, il faut voir Braunsberg le charbonnier. Ce sont les enfans des environs qui l’ont ainsi surnommé, parce que dans ses expériences, il brûle à lui seul plus de charbon que tout l’établissement des bains. Figurez-vous que ce malheureux est hideux à voir : haut comme une table de toilette ; des bas bleus ; chemise absente ; pas de gants, pas de gants, parole d’honneur ! Il a cependant étudié à l’université de Goetingue, de Goetingue en Allemagne, connaissez-vous Goetingue ? Tenez, tenez, voici Braunsberg qui passe. Les enfans le poursuivent en riant. Un charbonnier le suit avec un sac de charbon ! Mais regardez donc, M. Vilshofen !

Je portai les yeux vers la rue, et j’aperçus en effet un malheureux jeune homme, jaune, amaigri, dans une déroute de toilette vraiment affligeante. Ses cheveux étaient confusionnés, son air hagard, et pourtant sa physionomie n’indiquait pas la stupidité. Il y avait même dans ce regard quelque chose de fier et d’inspiré. Tant de misère et de dégradation me fit peine. Mon cœur saigna. J’imposai silence à mon fashionnable qui riait stupidement, et saisissant mon chapeau, je m’élançai dehors sans prendre congé de personne.

Un ancien camarade, me dis-je à moi-même, un écolier de l’université de Goetingue ! ô honte ! et je suivis malgré moi les pas de Braunsberg. Le malheureux s’arrêta chez une fruitière où il prit des radis et du beurre, à crédit, dans un carré de papier imprimé, puis il monta un petit escalier tortueux sans laisser tomber un regard sur les enfans qui le suivaient en lui jetant mille quolibets injurieux. Je suivis donc Braunsberg, et j’entrai presque en même temps que lui dans un grenier dont tout l’ameublement consistait en cornues de verre et de grès, en fourneaux, en soufflets. Le charbon qui servait sans doute à ses expériences chimiques roulait çà et là au milieu de la chambre ; il y en avait des masses énormes qui s’élevaient contre les murs en façon de pyramides. Un matelas jeté dans un coin composait à lui seul le coucher de Braunsberg. Lorsque Braunsberg m’a-