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LUIZ DE CAMOENS.

çu : « L’auteur feint qu’à Goa, dans les fêtes données pour l’installation du gouverneur, de certains galans se présentent pour jouer au jeu des cannes[1] ; ils ont sur leurs banderolles des devises et des couplets qui font connaître leur caractère et leurs intentions. » Cette plaisanterie, attribuée à tort ou à raison à Camoens, lui fit un ennemi mortel du gouverneur.

Camoens composa, vers cette époque, son écrit mémorable intitulé Disparates na India (Sottises dans l’Inde). Il stigmatisa dans cette pièce, avec une vertueuse indignation, la cupidité, la rapine, les mœurs dissolues et tous les vices dans lesquels se plongeaient ses concitoyens dans l’Inde. Cette pièce, écrite avec la verve âpre et sévère qu’il déploie si souvent dans les Lusiades, est le digne pendant des stances sur le Désordre du monde.

Il n’y avait pas dans les Disparates un seul nom propre, pas une personnalité ; mais Francisco Barreto, qui ne cherchait qu’un prétexte, voulut y voir une attaque à son autorité. Camoens fut mis en prison[2] ; et, comme il partit peu après de Goa des vaisseaux pour la Chine, le gouverneur le fit embarquer, avec ordre de rester aux Moluques : c’était mettre douze cents lieues de plus entre Camoens et sa patrie.

Quelques vers du poète nous apprennent combien profondément il ressentit cette injustice. « Puisse, a-t-il dit, le souvenir de cet exil demeurer sculpté sur le fer et sur la pierre ! « Ce vœu fut toute sa vengeance. Soit générosité, soit dédain, il ne nomma pas son persécuteur. Les vaisseaux qui l’emmenèrent vers le sud, mirent à la voile au commencement de 1556.

On n’a que des notions peu précises sur ce que fit Camoens pendant les trois premières années de son exil. On croit qu’il fut déposé à Malaca, d’où il se rendit aux Moluques. Nous avons la preuve qu’il visita l’île de Ternate, dont il a décrit le volcan dans sa sixième cançâo. Nous croyons qu’il dut passer la majeure partie de ces trois années dans l’île de Timor ou de Tidor, qui étaient les lieux d’exil ordinaires des Portugais dans l’Inde.

  1. Espèce de tournois moresque où l’on combattait avec des roseaux.
  2. Voy. Severim.