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REVUE DES DEUX MONDES.

Il nous serait plus aisé de peindre la maîtresse de notre poète que de dire son nom. Camoens a tracé bien des portraits d’elle[1] et il ne l’a jamais nommée.

Pedro de Mariz nous apprend seulement qu’elle était dame du palais et qu’elle mourut fort jeune. Faria e Sousa s’est signalé dans la recherche de son nom. Les nombreuses variations de cet écrivain sur ce sujet attestent au moins sa bonne foi[2]. Il pensa d’abord, sur l’autorité de J. Pinto Ribeiro[3], que cette dame était dona Catarina de Almeyda, parente de Camoens. Plus tard il crut découvrir que ce fut dona Catarina de Atayde, fille de dom Antonio de Atayde, favori de dom Joâo iii, et cette opinion a prévalu. Ceux qui y ajoutent une foi entière ne savent probablement pas que, dans les notes 7 et 9 de Cintra, Faria e Sousa est venu à penser que ce pourrait bien avoir été une certaine Isabel, souvent chantée par Camoens sous l’anagramme de Belisa.

On voit que ce mystère est impénétrable. Pour moi, je trouve qu’il y a dans ce secret si bien gardé et qui défie toutes les recherches, quelque chose de délicat et de pudique qu’il faut respecter. Je n’imiterai donc point l’indiscrète curiosité de mes devanciers : j’appellerai tout simplement cette belle inconnue celle qu’il aima.

Les poésies de Camoens qui se rapportent à ces premiers temps d’amour, sont pleines de passion et de délire. En voici un échantillon :

SONNET IX.

« Je suis en proie à un état indéfinissable ; je frissonne et je brûle à-la-fois ; je pleure et ris au même instant, sans en savoir la

  1. Voy. entre autres le sonnet 35.
  2. Lope de Vega, dans un éloge en prose qu’il composa comme il se mourait et qui est imprimé devant le commentaire des Lusiades (1639), a dit que, comme Camoens était le prince des poètes, Faria e Sousa était le prince des commentateurs. Il faut croire que Lope de Vega quêtait de Faria un commentaire pour lui-même.
  3. L’un des précédens éditeurs des Rimas.