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REVUE. — CHRONIQUE.

Quoi qu’il en soit, l’île de Samothrace, non moins célèbre dans l’antiquité par le culte des dieux cabires, dont les mystères s’y célébraient dans l’antre de Zérinthe, que par la tradition de son déluge, n’ayant été visitée par aucun voyageur dans les temps modernes, vous ne lirez peut-être pas sans intérêt les détails géographiques et géologiques que j’ai recueillis lors de mon voyage dans cette île, où rien n’a pu me faire supposer la véracité du récit des anciens, autant du moins qu’une course rapide m’a permis d’en juger.

L’île de Samothrace, aujourd’hui la Samotraki des Grecs et la Sémendérek des Turcs, est située en face du golfe de Saros par 23°25′ de longitude est, et par 40°25′ de latitude nord : elle affecte une forme un peu elliptique, dont le grand axe est dirigé de l’est à l’ouest, et sa circonférence a environ douze lieues. Cette île, célèbre aussi dans l’antiquité par les avantages qu’elle tenait de la nature et par la liberté dont elle jouissait, ce qui lui avait fait donner le surnom de la libre, a bien perdu de nos jours de son ancienne splendeur. Elle est maintenant fort peu habitée. N’ayant ni ports ni marine, son commerce se réduit à fort peu de chose : elle fournissait cependant du miel, de la cire, des maroquins, etc., et jouissait encore dans ces derniers temps d’une certaine célébrité, à cause de ses eaux thermales sulfureuses[1], où l’on trouve les ruines d’un petit établissement de bains. Il était destiné aux malades qui s’y rendaient des Dardanelles, des îles et des côtes voisines.

Mais cette île sans défense, ayant été plusieurs fois ravagée par les Ipsariotes, à l’époque de la dernière guerre entre les Grecs et les Turcs, sa population, qui auparavant se composait d’environ deux mille cinq cents habitans, se trouve maintenant réduite à cinquante ou soixante familles grecques, très misérables, réunies dans le seul bourg de l’île, situé vers la partie centrale, et où l’on trouve encore les ruines d’un château, construit, pendant la domination des Génois, sur un rocher calcaire très remarquable : elle est gouvernée par un aga qu’y envoie la Porte, et fait partie du sandjak de Bigha.

Sa surface est divisée à-peu-près par moitié en deux parties bien distinctes ; l’une, la partie nord, est entièrement formée de montagnes très élevées et à pentes raides, offrant de loin l’aspect d’un énorme mamelon : c’est le mont Saoce des anciens, que l’on apercevait de loin, par-dessus les montagnes de l’île d’Imbros, en sortant du détroit de l’Hellespont ; c’est aussi de ce mont que veut parler Homère, quand il dit que, « placé sur le sommet le plus élevé de la verte Samos de Thrace, Neptune contemplait d’un œil étonné le combat et la déroute des Grecs. Au-delà il découvrait le mont Ida tout entier, ainsi que la ville de Priam et les vaisseaux qui bordaient le rivage ; aussitôt il descend avec rapidité de la montagne escarpée. Le mont et la forêt tout entière tremblent sous les pieds immortels de Neptune, qui s’avance. » (Iliade, chap. xiii, vers 12 et suiv.)

Ces montagnes sont essentiellement composées de roches anciennes : ce sont

  1. L’une de ces sources a fait monter le thermomètre à 54°, et une autre à 47° 1/2 centigrades. Elles dégagent une forte odeur d’hydrogène sulfuré.