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Stello, dis-je, s’arrêta tout-à-coup au milieu de l’appartement, écoutant le marteau dont le bruit parut lui plaire ; il passa ses doigts dans ses cheveux comme pour s’imposer les mains à lui-même et calmer sa tête. On aurait pu dire, en l’examinant bien, qu’il ressaisissait intérieurement les rênes de son âme, et que sa volonté redevenait assez forte pour contenir la violence de ses sentimens désespérés. — Ses yeux se rouvrirent, s’arrêtèrent fixement sur les yeux du Docteur, et il se mit à parler avec tristesse, mais avec fermeté :


— Les heures de la nuit, quand elles sonnent, sont pour moi comme les voix douces de quelques tendres amies, qui m’appellent et me disent, l’une après l’autre : qu’as-tu ?

Jamais je ne les entends avec indifférence quand je me trouve seul, à cette place où vous êtes, dans ce dur fauteuil où vous voilà. — Ce sont les heures des esprits, des esprits légers qui soutiennent nos idées sur leurs ailes transparentes, et les font étinceler de clartés plus vives. Je sens que je porte la vie librement durant l’espace de temps qu’elles mesurent ; elles me disent que tout ce que j’aime est endormi, qu’à présent il ne peut arriver malheur à qui m’inquiète. Il me semble alors que je suis seul chargé de veiller, et qu’il m’est permis de prendre sur ma vie ce que je voudrai du sommeil. — Certes, cette part m’appartient, je la dévore avec joie, et je n’en dois pas compte à des yeux fermés. — Ces heures m’ont fait du bien. Il est rare que ces chères compagnes ne m’apportent pas, comme un bienfait, quelque sentiment ou quelque pensée du ciel. Peut-être que le temps invisible comme l’air, et qui se pèse et se mesure comme lui, comme lui aussi apporte aux hommes des influences inévitables. Il y a des heures néfastes. Telle est pour moi celle de l’aube humide, tant célébrée, qui ne m’amène que l’affliction et l’ennui, parce qu’elle éveille tous les cris de la foule, pour toute la démesurée longueur du jour, dont le terme me semble inespéré. Dans ce moment, si vous voyez revenir la vie dans mes regards, elle y revient par des larmes. Mais c’est la vie enfin, et c’est le calme adoré des heures noires qui me la rend.