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les ix voulait réaliser le vœu qu’il a formé de retrouver les Mémoires d’Aspasie, je m’assure qu’il réussirait à nous les donner.

Aujourd’hui nous devons nous borner à encourager M. Moke à suivre la voie où il est entré. Sans nul doute, en poursuivant les études qu’il a commencées, il trouvera, chemin faisant, de quoi composer plusieurs autres romans, et il apprendra, malgré lui, à nouer une fable plus étroitement, à fondre ensemble l’histoire et la poésie.


Le Négrier, aventures de mer[1]. C’est un poète singulier que M. Édouard Corbière ; c’est un rude et impitoyable critique. Il ne pardonne à personne, pas même à ceux qui valent mieux que lui. Il ne veut fermer les yeux sur aucune faute. Il regarde à la loupe toutes les taches qui se rencontrent dans les œuvres de ses contemporains, il les élargit du mieux qu’il peut, et il s’en glorifie ! comme si nous n’avions pas la parabole de l’Évangile.

J’en suis vraiment fâché pour vous, M. le rédacteur en chef du journal du Havre. Mais vous êtes un ingrat, et j’espère sans peine vous le prouver. Je n’ai pas lu vos Brésiliennes, et dans la crainte d’y retrouver les mêmes et hautes et inintelligibles qualités que dans votre Négrier, je m’en abstiendrai. Mais je me souviens que vous avez traduit Tibulle en vers français, et je vous prie de croire que je le savais avant de lire la couverture de votre nouvel ouvrage. J’ai lu vos vers ; ils ne valaient pas grand’chose. Mais comme de nos jours, sauf trois ou quatre glorieuses exceptions, le métier de versificateur est devenu très inoffensif ; comme deux ou trois milliers de rimes signifient assez clairement que l’auteur ne s’adresse qu’à la postérité, c’est un devoir pour les contemporains de le traiter avec indulgence, comme un malade ou un fou. Et ç’a été, monsieur, grâce à l’indulgence de la critique, que vous avez passé une première fois inaperçu, paisible, sans scandale et sans bruit. Personne que je sache ne vous a contesté le droit de siéger en toute sécurité de génie entre MM. Mollevaut et Denne-Baron.

Eh bien ! monsieur, vous avez prouvé par votre conduite une triste vérité, et que les moralistes avaient promulguée sans l’environner de toute l’évidence qui force à dire : je suis convaincu. Je ne doute plus maintenant que la reconnaissance ne soit, dans la plupart des cas, un poids importun et pénible. Au lieu de remercier courtoisement les aristarques parisiens, vous leur crachez au visage, vous les bafouez, vous les accusez d’ignorance et de niaiserie, vous caricaturez à votre manière des hommes qui, malheureusement pour votre gloire, ne seront pas même entamés par vos sarcasmes dédaigneux, et vous joueront, je l’espère, le même tour que la lime au serpent.

Qu’est-ce à dire, monsieur. ? Seriez-vous jaloux par hasard de la gloire et des triomphes d’autrui. Mais si votre sommeil est troublé par des rêves d’immortalité, pourquoi ne pas avouer hautement les rivaux que vous prétendez effacer ? Pourquoi ne pas désigner plus clairement les têtes hautes que vous voulez mutiler comme fit Tarquin ? Croyez-vous donc, monsieur, que la Sérieuse de M. Alfred de

  1. Chez Denain, rue Vivienne.