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REVUE. — CHRONIQUE.

une industrie plus ou moins active, plus ou moins habile, comme toutes les autres industries, comme les moulins à foulons, la tonte du drap, les indiennes ou le gros de Naples ; puisque vous pouvez rencontrer au foyer du théâtre italien, entre un air de Rubini et une cavatine de madame Raimbaux, un homme qui s’avoue hautement comme ayant sur le métier douze romans qu’il va mettre sous presse incessamment, il faut savoir gré à ceux qui se retirent de la profession pour se réfugier dans l’art, pour écouter dans la retraite et le recueillement les secrets de leur pensée, et les raconter avec candeur et conscience ; car si la moitié du siècle s’achevait sans ralentir le mouvement désordonné de la population littéraire, on peut hardiment prédire qu’en 1850, il serait presque impossible de découvrir une vingtaine de livres parmi les milliers de volumes que la presse répand à la surface du pays avec une imperturbable cruauté.

Et ainsi, je remercie sincèrement M. Moke d’avoir écrit Hermann, pour se satisfaire d’abord, pour traduire une pensée plus ou moins vraie, contestable de l’aveu même de l’auteur, mais réelle et volontaire. Hermann a l’immense avantage d’avoir été composé comme un délassement à des études plus sérieuses, comme une sorte de mise en œuvre des documens historiques recueillis par M. Moke, pour une histoire des Pays-Bas. La science a précédé la poésie. Le roman est venu comme un accident imprévu, mais inévitable, après la lecture attentive des chroniques.

Bien que le second titre du livre ait le tort de convenir plutôt à un traité qu’à un ouvrage d’imagination, cependant il exprime assez nettement l’idée qui domine le livre. La fable du roman n’est en effet qu’un cadre où M. Moke a réuni des groupes animés et vivans, destinés à représenter le type romain et le type franc ; le sujet réel d’Hermann, c’est la lutte d’une civilisation usée et corrompue contre une société barbare, neuve et rude, pleine de sève et d’énergie, et qui doit, avant de se constituer définitivement, avant de prendre une forme dernière et décisive, dévorer et engloutir les derniers restes du géant romain.

Hermann, comme on voit, soulève une question que les Martyrs, de Châteaubriand, et la Julia Severa, de Sismondi, avaient déjà indiquée sans la résoudre. L’antiquité, consacrée par Homère et Virgile sous la forme épique, peut-elle accepter et subir les familiarités du roman ? Si l’on excepte Velleda ; qui se place, par l’animation et la beauté, entre Atala et René, toute la pompe du style des Martyrs, toute la profusion d’images et de similitudes prodiguées par le poète, n’est qu’une lutte souvent heureuse avec l’épopée antique. Quant à Julia Severa, c’est plutôt un procès-verbal, un mémoire archéologique, qu’un poème. Hermann a plus franchement abordé la question, et l’a presque résolue. Bien que M. Moke n’ait peut-être pas mis dans son livre assez d’action et de rapidité, cependant son livre se lit avec intérêt : il est savant et vrai sans sécheresse et sans apprêt. On sent que ses personnages, malgré l’éloignement qui les poétise, vivent d’une vie réelle et comparable à la nôtre. Je ne doute pas, pour ma part, que cette tentative, renouvelée avec une volonté persévérante, ne puisse avoir un plein succès. Si l’auteur de la Chronique de Char-