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ploiter, la mettre en œuvre jusqu’à satiété. Laissez-les faire. L’application des idées aux choses n’est qu’une perte de temps pour les créateurs de pensées.

Stello, debout encore, regarda le Docteur noir avec recueillement, sourit enfin, et tendant la main à son sévère ami :

— Je me rends, dit-il, écrivez votre ordonnance.

Le Docteur prit du papier.

— Il est bien rare, dit-il tout en griffonnant, que le sens commun donne une ordonnance qui soit suivie.

— Je suivrai la vôtre comme une loi immuable et éternelle, dit Stello, non sans étouffer un soupir, et il s’assit, laissant tomber sa tête sur sa poitrine, avec un sentiment profond de désespoir, et la conviction d’un vide nouveau rencontré sous ses pas ; mais en écoutant l’ordonnance, il lui sembla qu’un brouillard épais s’était dissipé devant ses yeux, et que l’étoile infaillible lui montrait le seul chemin qu’il eût à suivre.

Voici ce que le Docteur noir écrivait, motivant chaque point de son ordonnance, usage fort louable et assez rare.


CHAPITRE XXXVIII.
Ordonnance du Docteur noir.

Séparer la vie poétique de la vie politique.

Et pour y parvenir :

i. Laisser à César ce qui appartient à César, c’est-à-dire le droit d’être, à chaque heure de chaque jour, honni dans la rue, trompé dans le palais, combattu sourdement, miné longuement, battu promptement et chassé violemment.

Parce que l’attaquer ou le flatter avec la triple puissance des arts, ce serait avilir son œuvre et l’empreindre de ce qu’il y a de fragile et de passager dans les évènemens du jour. Il convient de laisser cette tâche à la critique du matin, qui est morte le soir ; ou à celle du soir, qui est morte le matin. — Laisser à tous