Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.
100
REVUE DES DEUX MONDES.

Henriot. Criez vive Robespierre, mes enfans ! Les traîtres sont là ! enfans ! Brûlez-leur un peu la moustache ! Hein ! faudra voir s’ils feront aller les bons enfans, comme ils voudront. Hein ! c’est que je suis là, moi. — Hein ! vous me connaissez bien, mes fils ! pas vrai ?

Pas un mot de réponse. Il chancelait sur son cheval, et se renversant en arrière, soutenait son gros corps sur les rênes, et faisait cabrer le pauvre animal qui n’en pouvait plus.

— Eh ben ! où sont donc les officiers ici ? mille dieux ! continuait-il. Vive la nation ! Dieu de Dieu ! et Robespierre ! les amis ! — Allons ! nous sommes des sans-culottes et de bons garçons, qui ne nous mouchons pas du pied, n’est-ce pas ? — Vous me connaissez bien ? — Hein ! vous savez, canonniers, que je n’ai pas froid aux yeux, moi ! — Tournez-moi vos pièces sur cette barraque, où sont tous les filous et les gredins de la Convention.

Un officier s’approcha et lui dit : Salut ! — Va te coucher ! Je n’en suis pas. — Ni vu, ni connu, — tu m’ennuies.

Un second dit au premier :

— Mais dis donc, toi, on ne sait pas au fait s’il n’est pas général, ce vieil ivrogne.

— Ah ! bah ! qu’est-ce que ça me fait, dit le premier ? Et il s’assit.

Henriot écumait. Je te fendrai le crâne comme un melon, si tu n’obéis pas, mille tonnerres !

— Oh ! pas de ça, Lisette ! reprit l’officier en lui montrant le bout d’un écouvillon. Tiens-toi tranquille, s’il vous plaît, citoyen.

Les espèces d’aides-de-camp qui suivaient Henriot, s’efforcaient inutilement d’enlever les officiers et de les décider : ils les écoutaient beaucoup moins encore que leur gros buveur de général.

Le vin, le sang, la colère, étranglaient l’ignoble Henriot. Il criait ; il jurait Dieu ! il maugréait, il hurlait ; il se frappait la poitrine ; il descendait de cheval et se jetait par terre ; il remontait et perdait son chapeau à grandes plumes. Il courait de la