mes épîtres. Je recevais en même temps de M. Gans une lettre pleine d’élévation et de chaleur où il m’expliquait qu’il n’avait pas cessé un instant de comprendre et de chérir la France, en dépit de ce qui avait pu s’y passer depuis juillet, et me priait de trouver naturel qu’il déclarât n’être pas le Berlinois qui recevait mes confidences philosophiques. Je viens de lui répondre pour le remercier et le féliciter de n’avoir jamais désespéré de l’avenir de la France. Pour vous, monsieur, on ne vous a pas encore découvert ; on ne sait pas dans quel camp vous chercher à Berlin : êtes-vous disciple de Hegel ? appartenez-vous à l’école historique ? êtes-vous obscur ou célèbre ? voilà qui est un secret que je vous garderai bien : j’ai même répondu à plusieurs qui s’enquéraient de votre nom qu’il se pouvait que vous n’eussiez d’autre existence qu’une imagination ; vivez donc en sécurité complète ; vos réponses ne verront jamais le jour, et de notre correspondance je n’abandonnerai au public que la moitié dont il m’est permis de disposer.
Mais moi, monsieur, qui me nomme, il paraît que sans le savoir je me suis exposé à certains dangers ; j’avais cru que rien n’était plus paisible et plus inoffensif qu’une controverse philosophique ; je m’imaginais qu’il n’était défendu à personne, pas même à un professeur, de discuter les théories et les systèmes ; mais on m’a appris que la franchise de l’examen auquel j’ai soumis quelques opinions, avait irrité certaines puissances assez hautaines ; plusieurs de mes amis ont cru même reconnaître la trace de ce ressentiment dans des attaques fort misérables dirigées contre la liberté de mon enseignement.
J’attachais assez peu d’importance à ces bruits et à ces conjectures quand je vis un matin entrer chez moi un homme grave qui m’honore de son amitié et qui a toujours suivi avec une chaleureuse sollicitude les travaux de ma jeunesse. Qu’avez-vous fait ? me dit-il, où vous êtes-vous engagé ? pourquoi publiez vous les lettres que vous adressez à un Berlinois ? pourquoi voulez-vous altérer le calme de vos études par des controverses agitées ? Pourquoi descendre de l’inspection de l’histoire à la polémique ? savez-vous les embarras que vous sèmerez autour de