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PENSÉES DE JEAN-PAUL.

L’amitié des femmes entre elles est à la vérité plus rare que celle des hommes les uns pour les autres, mais elle a aussi plus de délicatesse ; la nôtre n’est pas si voisine de l’amour, car nous ne nous aimons qu’au reflet de nos actions ; une femme, au contraire, demande moins à son amie, ou à son amant, des preuves que des témoignages de tendresse ; si elle exige de l’amour, c’est uniquement pour en ressentir et pour le payer de retour.


Ah ! si un Pythagore eût fait de notre cœur une harpe éolienne, doucement agitée, que la nature fasse vibrer harmonieusement en exprimant ses sentimens, et non un bruyant tambour qui annonce l’incendie des passions, jusqu’où ne nous serions-nous pas élevés ! car le génie seul a des bornes, la vertu n’en a point, et tout ce qui est bon et pur est susceptible de le devenir encore davantage.


Les amis, les amans et les époux doivent avoir tout en commun, excepté la chambre. Les besoins grossiers du corps se réunissent autour des flammes pures et brillantes de l’amour, comme la fumée des haillons ; et de même que l’écho répète un plus grand nombre de syllabes en proportion de la distance de la voix, l’âme dont nous désirons un plus bel écho ne doit pas être trop près de la nôtre : aussi l’affinité des âmes s’accroît-elle en raison de l’éloignement de l’objet aimé.


Plus deux hommes ont de puissance, d’intelligence et de grandeur, et moins ils peuvent se supporter sous le même toit. C’est ainsi que les insectes de la grande espèce qui vivent sur les fruits sont insociables (on ne trouve, par exemple, qu’un escarbot sur une noisette), tandis que les insectes plus petits qui ne se nourrissent que de feuilles, tels que les pucerons, y habitent par nichées.