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PENSÉES DE JEAN-PAUL.


Les songes, d’après la belle remarque de Herder, nous ramènent toujours vers le temps de la jeunesse, et cela fort naturellement, parce que l’ange de la jeunesse imprime la trace la plus profonde sur le rocher du souvenir, et parce qu’en général un passé éloigné se grave plus fréquemment et plus avant dans l’esprit qu’un avenir éloigné.


L’homme saisit avec ardeur un rôle nouveau dans la vie et le joue d’autant plus parfaitement. — Le saint-esprit plane au-dessus de nos prédicateurs à leur début, et les couve avec des ailes de colombe : seulement plus tard les œufs sont froids.


Ah ! ce temps était le plus heureux pour moi ! s’écrie souvent l’homme en considérant dans son ensemble une époque de sa vie ; mais il ne peut désigner ni les jours, ni les heures où il a goûté le plus grand bonheur. C’est ainsi qu’un âge ou une longue période de notre existence ressemble à un almanach doré sur tranches, l’or brille sur toute la masse compacte ; mais isolez chaque feuillet, il n’aura que peu d’éclat.


Si l’on calcule combien d’enfans pleins de capacité on rencontre dans les écoles des villes et des campagnes, si l’on réfléchit que le peuple, comme la majorité numérique des têtes, doit en donner une plus grande quantité de bonnes, on demeure tout surpris, vingt ans plus tard, de rechercher inutilement ces génies de village dans les collèges, dans les grades militaires ou dans d’autres fonctions élevées. La minorité des hautes classes fournit presque seule et avec parcimonie le pays de talens, et les capacités champêtres se perdent dans les granges, dans les casernes et dans les ateliers.