Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/707

Cette page a été validée par deux contributeurs.
692
REVUE DES DEUX MONDES.

trouve bientôt dans la grande rue que nous quittons. La monte-t-on, on arrive inévitablement à la Casauba.

Ce palais ou ce château est un entassement confus de constructions de styles et d’époques différentes : le type élégant et gracieux de la maison mauresque y est cruellement défiguré, il ne l’est pas assez néanmoins, pour que les yeux ne se trouvent assez vivement saisis des deux étages de galerie, des légères colonnades, des couleurs éclatantes qu’on aperçoit aussitôt qu’on en a franchi le seuil.

Vous remarquerez peut-être, sous une des galeries du rez-de-chaussée, une petite porte étroite et basse. Elle est facilement reconnaissable au grand nombre de serrures et de cadenas qui la ferment ; le chêne dont elle est faite disparaît sous des têtes de clous et des lames de fer. Eh bien ! sur le seuil de cette porte, une des puissances les plus illimitées qui aient existé sur la terre est venue se briser pendant des siècles sans l’avoir franchie. Il n’est pas un dey qui, d’une parole, n’eût pu faire tomber dix têtes : les efforts de tous réunis n’auraient pu la faire tourner sur ses gonds. Trois clefs différentes la fermaient. Le dey n’en avait qu’une. Les deux autres étaient dans les mains de deux grands fonctionnaires de la régence. Pour l’ouvrir, la coopération de ces trois personnages était donc indispensable. Il fallait, en outre, que la chose ait été délibérée dans le divan. Cette règle, il n’existait pour le dey aucun moyen de l’enfreindre ; en secret, cela n’était pas possible, car la porte, donnant sur l’endroit le plus fréquenté du palais, n’était perdue de vue ni jour ni nuit par les janissaires de garde ; en public, il en eût immédiatement payé de sa tête la moindre tentative. Cette porte, vous l’avez sûrement deviné, était celle du trésor : c’était aussi, comme vous voyez, la charte d’Alger dans son genre, charte vraiment vérité. Tous ces remparts de précautions et de garanties, dont les autres peuples protègent leurs personnes, leurs familles, leur honneur, celui-ci en avait entouré son argent. Là, des gourdes, des onces, des piastres, des douros, des louis, des guinées, gisaient en cinq ou six monceaux, racontant, monnoyant trois siècles de crimes, de violences et de rapines.

Il n’y a qu’un coup-d’œil à donner aux appartemens mesquins, aux corridors étroits, aux escaliers raides et sans grâce du château. Il faut se hâter de monter sur la terrasse la plus élevée. De là on voit toutes les maisons descendre, se précipiter en masse vers le rivage, jusqu’à ce que s’épanouissant, pour ainsi