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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

le peuple, les soldats, que nous ne pourrions attaquer leur château de l’Empereur qu’au moyen d’un autre château, qui lui serait tout semblable de forme et de dimension ; que ce serait seulement, entre ce sosie de Sultan-Calaci et Sultan-Calaci lui-même, qu’un combat sérieux pourrait s’engager. C’était sans doute revêtir de formes singulièrement naïves et enfantines cette idée que toute lutte suppose une sorte d’égalité de forces entre les combattans ; mais ils n’en étaient pas moins pleins de cette opinion. Ils espéraient en outre que la faim et la maladie leur feraient raison de nous, avant la fin des travaux qu’ils supposaient nécessaires à notre entreprise, conçue de cette façon ; car la saison s’avançait, et bientôt la mer n’allait plus être tenable. Par toutes ces raisons, nos cheminemens, qui s’élevaient à peine au-dessus du sol, ne les inquiétaient guère : c’était même avec une sorte de mépris qu’ils nous voyaient n’avancer qu’en zig-zag, toujours soigneusement couverts comme si nous n’eussions osé marcher droit à eux, à la face du ciel. Ils en étaient presque à dédaigner de tirer sur ce qui leur semblait de misérables mottes de terre retournée. La plupart de leurs coups étaient réservés aux brillans uniformes, aux plumets blancs qui se montraient à la queue des tranchées.

Le jour où nous démasquâmes nos batteries, ils accoururent en grand nombre sur la terrasse de la Casauba. De notre côté, nous ne mîmes pas moins d’empressement à garnir les pentes des montagnes voisines. Le feu commença. Nous vîmes Sultan-Calaci et son réduit tonner par deux étages de batteries : c’étaient des salves entières se succédant sans interruption. De nos batteries au contraire, il ne se tirait jamais qu’un coup à-la-fois. Un assez long silence succédait, et le coup suivant partait ordinairement d’une autre batterie. Nous semblions craindre de nous trop montrer à un même endroit. Il en fut ainsi pendant plusieurs heures, sans que rien eût pu révéler à des yeux inexpérimentés l’issue de la journée. Toutefois, dans la succession régulière de nos coups, dans la lenteur avec laquelle ils se succédaient, il y avait peut-être aussi quelque chose d’imposant, de mystérieux, de fatal, qui les annonçait, dirigés par une intelligence qui n’avait pas besoin de se presser, à qui le moment irrévocable était connu. Et en effet le feu des Turcs commençant à se ralentir d’abord insensiblement, puis d’une façon plus marquée, le nôtre augmenta de vivacité dans la même proportion. Le moment arriva où Sultan-Calaci se montra dépouillé