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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

Ils furent tout-à-coup enveloppés d’un parti d’Arabes. L’administrateur, se jetant dans un buisson, put échapper à ceux qui le poursuivaient, car, dans ce pays accidenté, il suffit du moindre déplacement de l’objet sur lequel on marche, du moindre détour qu’on fait soi-même pour que cet objet s’évanouisse comme une vision. L’officier moins heureux fut pris sans armes. Il eut recours aux prières ; il étendit ses bras en suppliant vers le chef. Il répéta plusieurs fois Allach ! Allach ! pour se mettre sous la protection de ce nom sacré ; mais deux Bédouins ne s’en saisirent pas moins. Ils le mirent à la portée du chef, qui, lui appuyant la tête sur le pommeau de sa selle, la lui coupa lentement et froidement, calculant déjà sans doute ce qu’elle devait rapporter.

Notre division perdant ainsi du monde, peu à-la-fois, il est vrai, mais sur plusieurs points, mais à toute heure, mais, pour ainsi dire, à toute minute, commençait à s’affaiblir. Il n’est si petite blessure qui, saignant toujours, à la longue n’épuise son homme. Ce fut donc avec plaisir que nous reçûmes, le 28, l’ordre déjà donné, puis ensuite contremandé, d’attaquer le lendemain.

La première et la troisième division par brigades en colonnes serrées devaient escalader le plateau en face d’elles, et la deuxième division demeurer, ou plutôt retourner au camp de Staoueli, pour venir s’intercaler entre elles deux pendant l’exécution de cette manœuvre.

Long-temps avant le jour, nous nous mîmes en mouvement, marchant lentement à cause de l’obscurité. Le bruit sourd de nos pas, le commandement à voix basse, et dans le lointain les aboiemens des chakals et des chiens sauvages, étaient les seuls bruits qui se fissent entendre. Le vallon fut bientôt franchi. Nos colonnes s’allongèrent en replis sinueux sur les flancs de la montagne ; aux lignes sombres et tortueuses qu’elles traçaient dans les broussailles, aux éclairs que lançaient les baïonnettes et les canons de fusils, à mesure que les premiers rangs, se dégageant des brouillards de la vallée, venaient à se rencontrer avec les rayons du soleil levant, vous eussiez dit de chacune un immense serpent dont les yeux auraient étincelé au moment de saisir sa proie. Le sommet de la montagne s’illumina tout entier peu de minutes avant que nous l’eussions atteint ; mais, en ce moment même où les objets qui s’y trouvaient pouvaient être d’autant plus facilement aperçus, qu’ils étaient seuls éclairés, nous ne vîmes ni Turcs ni Bédouins.