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La tradition, cette mémoire des peuples, n’a pas manqué non plus aux fastes de la mer. Le surnaturel et son brillant cortége ont marché avec chaque découverte positive que la science et l’observation ont faite, soit dans le domaine de l’astronomie, soit dans celui de la physique navale. La mer a sa féerie, sa mythologie, son apocalypse. C’est le soir, au quart de minuit, quand les matelots sont assis en cercle, qu’il faut leur entendre raconter, à demi-voix, à la lueur du fanal suspendu, sous l’influence d’une pluie d’étoiles, ces magiques récits qui ne sont interrompus que par des bouffées de tabac, que par le sillage du vaisseau.

C’est l’histoire de la découverte de l’aimant, de l’aimant qui fit imaginer la boussole, de la boussole qui est l’âme invisible du vaisseau. Gioja d’Almafi, le Napolitain, a beau en réclamer la découverte ; la tradition l’en déshérite pour en doter le hasard : la tradition a pris les devants.

« Bien avant nos pères, dit celui qui raconte, un bâtiment fit voile pour une île de l’Océan. Nos pères n’étaient pas aussi instruits que nous, s’ils étaient meilleurs ; ils étaient plus forts en probité qu’en calculs de longitude. L’île fut dépassée. Alors ils voguèrent toujours dans un diamètre opposé à celui du soleil, espérant bien rencontrer la terre, objet de leurs recherches. La terre ne venait pas. Quatre jours se passent et rien que des poissons : « des poissons, c’est bon signe », disent les vieux. Les vieux se trompent ; rien. Huit jours s’écoulent, et l’on aperçoit des algues, et les vieux ajoutent : « Les algues, c’est bon signe ; la terre n’est pas loin ». Les vieux se trompent encore ; rien que l’espace. Enfin, un mois arrive et une mouette tombe sur le pont : « Pour le coup, c’est la terre ! » s’écrient les anciens. Pas plus de terre que dans le ciel ; les esprits sont désorientés. On ne croit plus aux anciens. Ainsi les anciens, les mouettes, les poissons, les algues sont trompeurs, enfants.

« Mais voici ce qui arriva : comme ils allaient toujours vent arrière, la manœuvre n’était pas bien difficile ; changer une amure par-ci, une amure par-là, voilà tout. Pourtant, un soir, on jette la sonde et elle indique quatre pieds d’eau dans la sentine.