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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

monde, car c’était là qu’était l’intelligence. Aussi, tandis que leur tumultueuse impétuosité s’épuisait en mouvemens confus et désordonnés, en vaines clameurs qui se perdaient dans les airs, nous au contraire, si nous faisions quelques pas, c’était pour gagner du terrein, pour nous assurer un avantage ; si du milieu de nous s’élevaient quelques rares et brèves paroles, c’étaient de ces formules abrégées de la civilisation militaire, halte, front, feu, chargez, à droite alignement ; paroles grosses d’action, et qui ne manquaient jamais d’aller porter parmi eux d’inévitables ravages.

En cinq jours de campagne nos soldats avaient appris le genre de guerre qu’ils faisaient. Ils appréciaient avec assez d’exactitude le degré de hardiesse qu’ils pouvaient se permettre avec l’ennemi. À peine eurent-ils repoussé la première attaque qu’ils ne cessèrent de gagner du terrain. Il nous fallut soutenir nos tirailleurs par des compagnies, les compagnies par des bataillons qui à leur tour se laissaient entraîner ; de la sorte, nos divisions entières furent en mouvement, et au bout de six heures d’un combat opiniâtre, bien que nous n’eussions fait aucune manœuvre un peu hardie pour prendre l’offensive, nous nous trouvâmes avoir franchi un rideau de montagnes situé entre nous, et le camp des Turcs, et tout-à-fait maîtres du champ de bataille.

En face de nous était une vaste plaine aboutissant à une pente rapide couronnée à son sommet par de l’artillerie qui défendait le camp de Staoueli. On ne pouvait songer à faire rétrograder les troupes venues là, sans abattre leur ardeur, sans relever celle de l’ennemi. Le général en chef le sentit aussitôt qu’il vit l’état des choses. Dans une sorte de conseil de guerre qui se tint au sommet d’une colline où il se plaça pour juger de la position que nous avions prise, où il demeura pour suivre nos mouvemens, il fut décidé qu’on poursuivrait le succès de la journée. Nous ne nous ébranlâmes pourtant pas sur-le-champ, ce ne fut même qu’environ deux heures après que nous commençâmes notre mouvement. Jusqu’à ce moment, porteur de divers ordres, j’eus occasion d’aller plusieurs fois du lieu où nous nous trouvions à celui que nous avions quitté, de parcourir en plusieurs sens le terrain où l’on avait combattu.

À l’extrême gauche il présentait un spectacle hideux. Un assez grand nombre de nos morts, et ce qui était horrible à penser, sans doute aussi de nos blessés s’étaient trouvés quelques instans au pouvoir de l’ennemi. Ils étaient odieusement mutilés. Tête, pieds et mains coupés, le ventre ouvert, ils nageaient