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quelques-uns commençaient peut-être à s’entretenir à voix basse. Déjà en effet des conseils timides s’agitaient, disait-on, au quartier-général. Un moment la résolution fut prise d’abandonner notre position pour en prendre une autre plus rapprochée du rivage, en cas de besoin, plus facile à défendre. Un aide-de-camp du général Berthezène, qui pendant la tempête l’avait accompagné à Sidi-Feruch, fut envoyé de là, porter l’ordre aux trois régimens de la gauche de notre division de se tenir prêts à rétrograder. Heureusement que les bonnes dispositions des troupes, les précautions prises par les chefs pour préserver les armes, dont il eut à faire son rapport au lieutenant-général, mirent ce dernier à même de renouveler des représentations pleines de fermeté pour qu’il lui fût permis de conserver une position où il répondait de se maintenir. L’avertissement donné n’eut pas de suite. Puis la tempête après avoir duré plusieurs heures, avec une violence toujours la même, sans relâche où respirer, sans redoublement où croire qu’elle allât s’épuiser, s’apaisa presque aussi soudainement qu’elle avait éclaté.

Pendant tout le temps que nous occupâmes la même position, c’est-à-dire, du 14 au 19, nous ne cessâmes guère d’être entourés, depuis le lever du soleil jusqu’à la nuit, d’un essaim de tirailleurs turcs et bédouins. Ils ne paraissaient d’ordinaire nullement disposés à une attaque sérieuse. Cependant nous les vîmes le 17 en plus grand nombre, observant un meilleur ordre et montrant plus de détermination que de coutume. Ils marchaient autour de chefs reconnaissables à la magnificence de leurs vêtemens. Ils s’approchèrent de nos avant-postes à portée de fusil, et défilèrent de la sorte tout le long de la ligne. Nous apprîmes plus tard que c’était une reconnaissance conduite par le janissaire aga en personne. Lorsqu’elle fut effectuée, le feu cessa, et pour la première fois, la campagne que nous avions en face de nous devint déserte et silencieuse dès le milieu de la journée.

Quelques soldats d’un poste avancé auprès duquel je me trouvais par hasard, causant avec un officier de mes amis, aperçurent alors un Bédouin qui tantôt se montrait, tantôt disparaissait dans les broussailles pour se laisser voir de nouveau, mais un peu plus près de nous. Il était naturel de penser d’abord à quelque ruse, à quelque embuscade. Cependant un officier, qui crut deviner son intention, fut à lui armé seulement d’un poignard qu’il cacha pour ne pas l’intimider. Il l’emmena. C’était