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tion ; nous ne vîmes s’élever dans les airs aucun nuage de fumée. L’escadre se rangea tout entière dans la baie sans essuyer un coup de canon. Alors seulement des bombes nous arrivèrent d’une batterie cachée dans les broussailles. Leur effet fut peu meurtrier.

À trois heures, les deux premières brigades de notre division eurent ordre de débarquer sur-le-champ. Nous nous mîmes avec ardeur à l’exécution, car il nous semblait d’une grande importance de nous emparer dès le soir même de la presqu’île. De son extrémité qui se projetait assez loin dans la mer, on découvrait toute la côte où nous devions agir le lendemain. C’était par conséquent un point qui, pour ou contre nous, devait jouer un grand rôle dans le drame qui allait commencer, que cependant l’ennemi nous livrait en ce moment. De plus, resserrée à sa gorge comme elle paraissait l’être, il ne devait pas nous être difficile de la mettre de ce côté, pendant la nuit même, à l’abri d’un coup de main. Déjà nous remplissions les chalans, larges bateaux plats qui devaient nous porter à terre, mais tandis que nous n’attendions plus qu’un signal pour nous détacher des vaisseaux, ce fut un contre-ordre qui arriva. L’opération était remise au lendemain.

Une heure avant le jour, nous étions donc encore une fois à nos postes dans les chalans. Bientôt de petites embarcations nous remorquant, nous voguâmes vers le rivage qui continuait de rester sombre, désert, silencieux. Il ne s’anima pas davantage au moment où nous prîmes terre. Nos armes brillèrent seules aux premiers rayons du soleil, et nous ne découvrîmes ni un ennemi ni un retranchement. Quatre pièces de campagne dans la presqu’île, nous prenant en flanc et de revers, eussent rendu tout débarquement impossible ; quelques centaines de tirailleurs, disséminés derrière de petits tertres qui bordaient la côte, et dont chacun pouvait mettre dix à douze hommes parfaitement à couvert, nous eussent fait un mal incalculable. Cependant nous étions à terre depuis une heure qu’un seul coup de fusil, qu’un seul coup de canon n’avait pas encore été tiré.

Échappés enfin des prisons flottantes qui nous avaient retenus si long-temps, nous prenions un singulier plaisir à marcher sur la terre, à nous y asseoir, à nous y étendre. Nous respirions avec délices l’air embaumé du matin. Ramassant des cailloux, cueillant des plantes ou des fleurs nouvelles pour nous, nous semblions dire de vingt façons diverses : « Ô Afrique ! je te tiens. » Il ne s’agissait pas toutefois d’écarter un mauvais présage. C’est