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coudoyer quelqu’un parlant de se faire tuer au besoin sur les marches du trône, aux pieds du prince. Après cela vinrent les visites aux établissemens publics, les revues, les parades, les promenades par la ville à pied et à cheval ; enfin toutes ces scènes à grand spectacle où le pouvoir qui trône le jour, aime à venir se montrer au peuple : sorte de mélodrame qui semble se jouer en permanence sur la place publique, tant les royautés diverses sont ardentes à venir y figurer, qu’elles relèvent de Dieu, d’une épée victorieuse ou du pavé populaire, sorte d’imbroglio qui doit être éternel, car aucune catastrophe n’en amène le dénoûment ; car, si parfois, personnage inattendu, surgit quelque révolution, qui, de sa rude main, met à l’écart l’acteur principal, le héros de la scène, un autre qui dans la coulisse en essayait tout bas le rôle, arrive aussitôt pour le remplacer ; et n’ayez souci que les confidens aient vidé la place, ou ne soient à la réplique avec ce nouveau venu. — Disons cependant que, dans cette occasion, certains détails de la mise en scène furent plus soignés que de coutume. Quelque Cicéri du genre n’aurait rien imaginé de mieux.

Notre division, avec ses armes étincelantes au soleil, ses uniformes variés, avec l’état-major général galopant dans ses rangs, avec une foule de cavaliers, de voitures, de femmes élégantes qui l’entouraient, transportant sur les glacis de Toulon le boulevard de Gand, présenta déjà un beau coup-d’œil lorsqu’elle fut passée en revue par le prince ; mais ce ne fut rien, comparé à l’aspect qu’offrit la rade pendant la visite qu’il fit au vaisseau amiral. À voir cette mer bleu clair, unie comme un miroir, réfléchissant en larges nappes d’or les rayons d’un soleil de Provence, ou bien les brisant en milliards de paillettes scintillantes ; à voir ces vaisseaux de haut-bord, vergues et agrès, chargés de matelots en blanc, pavoisés de pavillons de toutes sortes, au milieu desquels l’embarcation montée par le prince, toute resplendissante de dorures, circulait çà et là, suivie d’une multitude d’autres embarcations ; à voir tout cela encadré d’un rivage dont le sable, jaune d’or, disparaissait sous un peuple en habits de fêtes, où de petits monticules s’émaillant de mille couleurs sous les robes blanches, les châles et les chapeaux des femmes auxquelles la galanterie les avait cédés, apparaissaient, vus d’un peu loin, comme autant d’immenses corbeilles de fleurs qu’une main d’artiste n’aurait pu mieux grouper : à voir tout cela, dis-je, c’eût été plus qu’un magnifique spectacle que