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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

noblement réconcilié avec la France, le sang de son fils a payé pour lui », j’en éprouvai, je l’avoue, une sorte de soulagement ; il me sembla que je respirais plus librement. Pourtant, s’il arrivait que ce peu de pages que je vais tracer tombassent entre les mains de M. de Bourmont, il est probable que le nom qui les signera lui resterait inconnu. Tout en remplissant des fonctions qui m’amenaient souvent en sa présence, j’ai trouvé le moyen de le lui laisser ignorer.

L’amiral Duperré, lui, posait tout naturellement en face des hommes qui lui obéissaient. Il se trouvait à leur tête, après avoir partagé toute sa vie leur bonne et mauvaise fortune. En fait de sympathie politique, en fait d’esprit de corps, il était en parfaite communauté de sentimens avec eux ; or c’est dans ce cas, et seulement dans ce cas, à moins toutefois que le don divin du génie avec sa merveilleuse puissance de fascination ne vous ait été accordé, qu’il est possible de prendre une grande influence sur les masses. Mais aussi les officiers de marine avaient-ils une sorte de foi dans leur amiral. « Fiez-vous à l’amiral. — Ce qu’il est possible de faire ? l’amiral le fera » ; c’étaient là leurs réponses ordinaires à tout ce que nous pouvions leur dire sur les difficultés du débarquement et sur les opérations qui devaient suivre. Avec cette autorité morale que lui donnait toute sa vie passée, doué, de plus, d’une grande énergie de caractère, il pouvait vaincre les nombreux obstacles qui devaient nécessairement se rencontrer dans l’organisation d’une aussi vaste entreprise, et qui pour d’autres seraient peut-être demeurés insurmontables. Il le fit : le succès passa même toute espérance. Dans les premiers jours de mai, on put déjà fixer le jour de l’embarquement, et à un terme beaucoup plus rapproché qu’on ne l’avait d’abord présumé possible.

Les choses en étaient là, lorsque arriva M. le Dauphin pour inspecter l’escadre et l’armée. Comme de raison, tout aussitôt accoururent pour le visiter, le féliciter, le complimenter, les autorités civiles et militaires. Dans les harangues, entourés de bien d’autres ornemens de rhétorique, brillèrent encore une fois dans toute leur pompe officielle, la religion de saint Louis, la monarchie de Louis xiv, le panache blanc de Henri iv. Dans les salons et les antichambres on fit queue, foule, cohue. La légitimité, la fidélité, le dévoûment, s’exprimèrent là d’une si bruyante façon et par tant de bouches, que vous en eussiez été étourdi. Il vous eût fallu du bonheur pour faire dix pas sans