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REVUE. — CHRONIQUE.

L’érudition curieuse aurait beau jeu à étudier les Contes bruns, si quelque circonstance inattendue leur donnait la même importance qu’au requiem de Mozart. Mais les indiscrétions volontaires de l’éditeur ont mis d’avance la critique sur les traces de la vérité. Le secret de la comédie a été si mal gardé, qu’on sait aujourd’hui la signature de tous ces contes, mieux et plus sûrement peut-être que s’ils étaient signés.

Et puis, quand les conversations ne seraient pas venues en aide à la patience de l’analyse, il n’eût pas fallu vraiment une pénétration bien vive et bien sagace pour deviner la valeur de ces inconnues : à la seconde ligne de l’équation le problème aurait été résolu.

Dans une conversation entre onze heures et minuit, et le grand d’Espagne, on reconnaît sans peine le conteur en titre des revues, qui ne rappelle jamais, même lointainement le Mateo Falcone, Tamango, ni le Curé de Bereinx ou les Souvenirs militaires de Hanau ; mais à qui on ne peut contester une habileté positive à exciter l’intérêt, à serrer les chaises sous le manteau de la cheminée. À vrai dire, le talent de l’auteur de Sarrasine sent l’opium, le punch et le café ; rarement son imagination ressemble à la poésie. Il ne soupçonne pas les plus simples secrets du style, mais il sait son métier. Il sait faire un conte comme on sait faire un habit ou une maison. Quand il rencontre une donnée, il la mène à bout et l’épuise comme font les cochers de fiacre ou de cabriolet d’un cheval qu’ils achètent pour l’achever. Son art que je ne veux pas nier n’a peut-être pas d’existence littéraire ; jusqu’à présent le succès l’absout.

Les deux morceaux que nous avons nommés ont tous les défauts et toutes les qualités de l’auteur : seulement je dois dire que, dans le Grand d’Espagne, j’ai éprouvé plus de dégoût que de terreur, en lisant les détails de l’accouchement.

L’Œil sans paupières me semble une maladroite copie de Tam O’Shanter, mais on dirait que la ballade de Burns a été corrigée, tamisée, criblée, triée, épluchée, par un comité académique, composé de MM. Suard, Laharpe et Morellet. Une bonne Fortune est un conte intéressant, mais où l’intérêt est quelque peu entamé par le luxe emphatique des paroles. Les mots égorgent les idées. Les trois Sœurs sont une pâle élégie.

Je ne veux rien dire de Sara la Danseuse, des Regrets et de la Fosse de l’Avare. De telles pages sont au-dessous de la critique. Ce n’est pas même ennuyeux ou mauvais : c’est tout simplement nul et plat.

Tobias Guarnerius est un calque laborieux et obscur du Violon de Crémone.

Les Contes bruns, valent mieux que bien des livres auxquels on a fait un succès.

La Tête à l’envers, dessinée par Johannot, est bien inventée, mais la gravure de Thompson est d’une mollesse désespérante. Je m’assure que le dessin ne devait guère ressembler à l’épreuve que nous en avons.