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PHILOSOPHIE DE FICHTE.

en effet au moment où cette force étrangère, avant de se produire au dehors, revient sur elle-même à la façon d’un ressort, que tu as conscience de ta propre existence, que tu nais à ce monde. Eh bien ! pendant ce reploiement de la force sur elle-même, il naît en elle une sorte de désir instinctif d’un développement libre qui ne soit contrarié par aucun obstacle extérieur. Ce désir instinctif se manifeste à ta conscience ; et cette même raison qui a fait que la force elle-même t’est apparue comme ta propre personne, te porte à voir dans le désir instinctif de cette force un sentiment qui t’est personnel. Tu l’appelles amour, sympathie ; tu crois t’aimer toi-même, tu crois t’intéresser à tes actes. Mais sors des étroites limites de la conscience individuelle, porte les yeux sur l’univers entier, ose l’embrasser dans ta pensée, tu ne tarderas pas à voir qu’une vaine illusion t’a séduit. Tu comprendras faciment qu’il n’est pas vrai de dire que tu t’intéresses à toi, à ta propre personne, mais qu’il l’est seulement qu’une des forces de la nature prend en toi intérêt à son œuvre et à la conservation de son œuvre. N’en appelle donc plus à de prétendus sentimens d’amour et de sympathie. Tu n’as le droit d’en rien conclure, puisque tu n’as pas celui de les supposer. Comment pourrais-tu t’aimer, toi qui n’existes pas ? Dans la plante, il y a aussi une sorte d’instinct, une sorte de ressort, si tu l’aimes mieux, qui la pousse à croître, à se développer ; cela ne t’a pas empêché d’admettre que sa croissance et son développement étaient déterminés par des forces extérieures. Or, si la plante était douée de conscience, elle ne manquerait pas de reconnaître, dans la tendance vers un libre développement que manifesterait la force qu’elle recèle, les mêmes sentimens d’amour de soi, d’intérêt pour ses actes, que tu as cru éprouver ; et si tu tentais ensuite de lui persuader que cette tendance intime n’a aucune influence sur ses développemens extérieurs, si tu lui disais que ces développemens sont déterminés jusque dans leurs moindres détails par des forces étrangères, la plante se refuserait à te croire : elle raisonnerait comme tu viens de raisonner. Cela pourrait peut-être être excusable en elle, pauvre plante ! mais