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ma propre nature ; mais j’ai la conscience immédiate de ces modifications. Je suis parvenu à savoir ce que je suis dans l’instant actuel ; je sais ce que j’étais avant cet instant, et je puis prévoir jusqu’à un certain point ce que je deviendrai.

Il ne saurait d’ailleurs me venir à l’esprit de vouloir faire de cette découverte aucun usage pour ma conduite. Comme je ne suis en aucune manière mon propre ouvrage, mais celui de la nature ; comme, pour parler à la rigueur, ce n’est pas moi-même qui agis, que c’est elle qui agit en moi, je ne puis tenter de me faire en rien autre que ce qu’elle a voulu que je fuse, d’exécuter quelque autre chose que ce qu’elle veut exécuter par mes mains. Je peux me repentir de ce que j’ai fait, je peux m’en réjouir, je peux même dire que je prends de bonnes résolutions pour l’avenir, bien que pour aller à la rigueur, il serait mieux de dire que c’est elle encore qui les prend en moi ; mais il est certain que tout mon repentir du passé, toutes mes bonnes résolutions pour l’avenir, ne sauraient apporter le moindre changement à ce que la nature m’a prédestiné à faire ou à devenir. Je suis sous la main d’une inflexible, d’une inexorable nécessité. Lui plaît-il que je sois un fou ou un méchant, je serai sans aucun doute un fou ou un méchant ; lui plaît-il que je sois un homme sensé et un honnête homme, je serai de même sans aucun doute, un homme sensé, et un honnête homme. S’il lui plaît, ai-je dit ? Mais cela n’est pas exact, car la nature obéit à ses propres lois, comme je lui obéis à elle-même. Ce qu’il y a de mieux à faire pour moi, étant à sa merci comme je le suis, est donc de lui soumettre aussi jusqu’à mes plus secrets desseins, jusqu’à mes pensées les plus intimes.


Ô désirs contradictoires ! Pourquoi chercherai-je à me dissimuler plus long-temps l’étonnement, l’horreur, l’effroi dont je me suis trouvé saisi à l’aspect du résultat auquel je viens d’arriver ? Si je m’étais solennellement promis de ne laisser à mes désirs les plus secrets, à mes penchans les plus intimes, aucune