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sance d’elles-mêmes qu’elles n’ont pas. La raison qui fait que je perçois les choses extérieures n’est pas hors de moi, mais bien en moi : elle se trouve dans ma propre limitation. Au moyen de cette limitation, la nature pensante en moi sort, pour ainsi dire, d’elle-même, et peut se contempler dans le tout, se voyant dans la conscience de chaque individu sous un point de vue particulier.

C’est aussi de la même façon que naît en moi la notion des êtres pensans, mes semblables. Je pense, ou pour mieux dire la nature pense en moi, et les notions qui se trouvent dans mon intelligence sont de deux sortes : les unes se rapportent à des modifications naturelles de mon être lui-même ; les autres n’ont pas ce caractère. Les premières sont une sorte de tribut que je suis tenu de verser au trésor de la pensée universelle, les secondes ne se rapportent aux premières que par induction, ce qui me fait inférer que ce n’est pas en moi qu’elles existent, mais dans d’autres êtres pensans : en un mot, ce n’est qu’en raison de ce qu’elles sont, que je puis conclure l’existence des êtres pensans. Si en effet, au dedans des limites de mon individualité la nature a conscience d’elle-même dans son universalité, c’est seulement à la condition qu’elle prend pour point de départ la conscience individuelle. C’est seulement en partant de ce point et au moyen de l’application constante du principe de causalité, qu’elle peut parvenir à la conscience universelle. Mais ce but, elle l’atteint nécessairement, elle le rencontre inévitablement au bout de ses efforts pour déterminer l’ensemble des conditions qui sont nécessaires à la possibilité de l’organisation, du mouvement et de la pensée qui constituent ma personnalité. Le principe de causalité est donc un point de contact entre l’individu et l’univers. C’est par là que la nature va de l’un à l’autre. Mes connaissances ont pour objet ce qui relativement à moi est en-deçà ou au-delà de ce point ; en-deçà leur caractère essentiel, indélébile, est l’intuition ; au-delà, l’induction.

De la conscience de chaque individu la nature se contemplant sous un point de vue différent, il en résulte que je m’appelle moi et que tu t’appelles toi. Pour toi, je suis hors de toi, et