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PHILOSOPHIE DE FICHTE.

semble plus qu’une modification nécessaire. Je vois la nature elle-même s’élever successivement, et de degré en degré dans l’échelle de ses créations variées. Dans la matière inerte, elle ne présente que l’être à l’état de passivité ; dans la matière organisée, dans la plante et l’animal, elle est active, revenant en quelque sorte sur elle-même pour se travailler plus intimement et se produire au dehors par l’organisme et le mouvement ; puis enfin, au dernier degré de ce retour en soi-même, arrivée à sa création la plus sublime, à l’homme, elle s’arrête à se contempler ; elle se dédouble pour ainsi dire, et dans un même être se trouvent unis, posés en face l’un de l’autre, l’être et la conscience de l’être.

De ce point de vue, il est facile d’apercevoir comment il m’est possible de savoir mon être, et les modifications de mon être ; l’existence et la science ont en moi un seul et même fondement, ma nature. L’être n’a besoin que d’être pour se savoir ; et quant à la conscience que j’ai des choses hors de moi, il n’est pas plus difficile d’en rendre compte. Les forces de la nature dont le concours constitue mon individualité, la force d’organisation, la force motrice, la force pensante, ne sont pas tout entières en moi ; je n’en recèle qu’une portion de chacune ; la raison en est que hors de moi elles se manifestent par d’autres êtres animés. Or, puisque cette portion qui s’en trouve en moi est limitée, il faut bien que quelque chose la limite : si je ne suis ni ceci ni cela, bien que ceci ou cela appartiennent aussi au vaste ensemble des êtres, c’est que ceci ou cela sont des choses hors de moi ; c’est ce que conclut la nature qui pense au dedans de moi : c’est donc seulement de ma propre limitation que j’ai la conscience immédiate. Il le faut bien, puisque c’est par elle que j’ai commencé d’être, et que c’est seulement au moyen d’elle, que j’arrive ensuite à la conscience de ce qui me limite ; cette seconde sorte de conscience dérivant toujours de la première.

Arrière donc toute croyance à une prétendue influence, à une action supposée des choses extérieures sur moi, au moyen desquelles elles verseraient, pour ainsi dire, en moi une connais-