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puissance supérieure à la sienne, se trouve obligée de se déployer dans une direction différente de celle qu’elle aurait naturellement suivie.

Donnez la conscience à un arbre ; puis laissez-le croître sans empêchement, étendre ses branches en liberté, pousser en liberté les feuilles, les fleurs, les fruits de son espèce. Certes il ne cessera pas de se trouver libre parce qu’il est un arbre, qu’il est un arbre de telle espèce, et que dans cette espèce il est tel individu. Il se croira toujours libre au contraire parce que tout ce qu’il fait, il est poussé à le faire par sa nature intime ; et il ne peut vouloir autre chose, puisqu’il ne peut vouloir que ce qu’elle réclame. Faites ensuite que sa croissance soit arrêtée par la rigueur d’une saison intempestive, par le manque de nourriture ou par toute autre cause, l’arbre se trouvera gêné, empêché, parce qu’il sentira en lui une tendance à se développer à laquelle il ne peut satisfaire. Liez enfin ses branches toujours libres jusqu’à ce moment, garrottez-les en espalier ; forcez-le par la greffe à porter des fruits qui lui sont étrangers, et l’arbre se trouvera opprimé dans sa liberté. Il n’en continuera pas moins de croître ; mais ses branches s’étendront dans une direction qui ne leur était pas naturelle. Il n’en portera pas moins des fruits, mais ce seront des fruits auxquels répugnera sa nature intime.

Dans ma conscience immédiate, je m’apparais donc libre : mais la contemplation de la nature ne tarde pas à m’enseigner que la liberté est impossible. La liberté est tenue d’obéir aux lois de la nature.


Dans cette doctrine je trouve enfin du repos d’esprit, une véritable satisfaction intellectuelle. Elle établit entre les diverses parties de mes connaissances, un ordre admirable, un enchaînement nécessaire qui me permettent d’en embrasser facilement l’ensemble. Loin que la conscience soit encore pour moi, de même que naguère cette étrangère isolée au milieu de la nature, et qui me semblait égarée, perdue, je la vois au contraire devenue partie intégrante de cette même nature. Elle ne m’en