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sée un coin du voile qui les recouvre. Qui sait, si par suite de ces températures de l’atmosphère que nous avons été forcés d’imaginer, toujours différentes de ce qu’elles ont vraiment été, pour soulever ce grain de sable l’espace de quelques pas, un de tes aïeux ne sera pas mort de faim, de froid ou de chaud, avant d’avoir engendré celui de ses fils, dont toi-même es né ? Tu n’aurais donc pas été, et aucune des choses par lesquelles tu as manifesté jusqu’à ce jour ton existence dans ce monde, aucune de celles par lesquelles tu la manifesteras à l’avenir, n’aurait été. Et pourquoi ? parce que ce grain de sable se trouverait à quelques pas du lieu où il se trouve en réalité.


Moi, avec tout ce qui m’appartient, avec tout ce qui est à moi, je suis donc emprisonné dans les liens de la nécessité. Pour mieux dire, je suis un des anneaux de sa chaîne inflexible. Il fut un temps où je n’étais pas encore ; d’autres me l’ont dit du moins qui vivaient alors, et bien que je n’aie jamais eu par moi-même la conscience de cette époque dont ils m’ont parlé, j’ai été contraint de reconnaître qu’ils disaient vrai. Il fut aussi un temps où je naquis ; où après avoir peut-être déjà été pour d’autres, je fus aussi pour moi-même ; où se manifesta en moi la conscience de ma propre existence. Depuis lors, ce sentiment ne m’a jamais quitté ; je n’ai jamais cessé de sentir au-dedans de moi des facultés, des passions, des désirs, des besoins : en un mot, j’ai été un être de telle ou telle espèce appelé à vivre dans le temps.

Je ne suis pas né de moi-même. De toutes les absurdités la plus choquante serait, sans doute, de supposer que j’aie été avant d’être, que j’aie préexisté à ma propre existence, afin de me la donner. Je suis par conséquent le produit d’une force dont le siége est au-dehors de moi. D’un autre côté, comme je suis une partie intégrante de la nature, cette force qui m’a donné l’être ne saurait être qu’une force universelle qui se ma-