Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/535

Cette page a été validée par deux contributeurs.
520
REVUE DES DEUX MONDES.

conséquences d’une méditation solitaire ; il inventera des fables monotones. Le jour n’est pas loin peut-être où il sentira la réalité de ce conseil.

L’auteur de Cinq-Mars apporte au théâtre une disposition d’esprit calme et recueillie, qui semblerait devoir l’en éloigner. Comme il aime surtout à n’oublier rien dans l’achèvement d’une scène, comme il se plaît à ciseler la moindre de ses pensées jusqu’à ce qu’elle ait enfin accepté la forme qu’il lui veut, il lui arrive souvent de ralentir la marche de son action pour mener à bout une idée heureuse et nécessaire, mais qui ne voudrait pas être développée si longuement. La Maréchale, le seul essai qu’il ait donné jusqu’ici, justifierait au besoin nos critiques. Il étudie attentivement tous ses personnages ; mais il apporte dans l’exécution de son œuvre une si curieuse coquetterie, qu’il finit toujours par laisser voir le poète dans l’acteur. Il indique si finement les nuances d’un caractère, qu’il semble que les hommes de sa fantaisie se regardent vivre, et s’écoutent respirer, tant ils nous montrent à loisir les plus secrets replis de leur conscience. Cette pénétration poétique, si utile dans un roman, veut être habilement déguisée, dans un drame.

M. de Vigny ne traite pas l’histoire si lestement que M. Hugo. Il s’en inquiète sérieusement. Cinq-Mars et la Maréchale en font foi. Quant à sa destinée dramatique, elle me paraît nettement tracée. Il suivra, je n’en doute pas, une voie toute personnelle. Il négligera les mouvemens lyriques qui nuiraient à la précision de sa pensée ; il ne se plaira pas non plus aux coups de théâtre : ainsi nous ne devons pas craindre qu’il emprunte jamais rien à la manière de Victor Hugo ou d’Alexandre Dumas. Il comprendra, je l’espère, que deux mille auditeurs veulent être émus autrement et par d’autres procédés, plus vivement, plus soudainement qu’un lecteur. Il n’atteindra peut-être jamais à la grandeur de Michel-Ange ni à l’énergie de Rubens ; mais il peut prétendre à la pureté de Raphaël. Il prend trop de souci de ses moindres pensées, il les caresse avec trop d’amour et de recueillement, pour multiplier ses œuvres, comme Shakespeare et Calderon ; mais, s’il écrit pour le théâtre vingt-cinq mille