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LE MESSAGE.

velure, en entendant les sons gutturaux de sa voix, en restant stupéfait des ravages dont témoignaient ses traits. Elle était pâle comme une feuille dépouillée de la teinte jaune imprimée par l’automne aux feuilles qui tombent ; ses yeux rouges et gonflés avaient perdu toute leur beauté ; ils ne réfléchissaient qu’une amère et profonde douleur : vous eussiez dit un nuage gris, là où naguère pétillait le soleil.

Je lui redis simplement, sans trop appuyer sur certaines circonstances trop douloureuses pour elle, l’évènement rapide qui l’avait privée de son ami ; je lui racontai la première journée de notre voyage, si remplie par les souvenirs de leur amour.

Elle ne pleura point, elle écoutait avec avidité, la tête penchée vers moi, comme un médecin zélé qui épie un mal…

Saisissant un moment où elle me parut avoir entièrement ouvert son cœur aux souffrances et vouloir se plonger dans son malheur avec toute l’ardeur que donne la première fièvre du désespoir, je lui parlai des craintes qui agitèrent le pauvre mourant, et lui dis comment et pourquoi il m’avait chargé de ce fatal message.

Alors ses yeux se séchèrent sous le feu sombre qui vint des plus profondes régions de l’âme. — Elle put pâlir encore, et lorsque je lui tendis les lettres que je gardais sous mon oreiller, elle les prit machinalement ; puis, elle tressaillit violemment, et me dit d’une voix creuse :

— Et moi qui brûlais les siennes !… Je n’ai rien de lui !… rien ! rien !…

Elle se frappa fortement au front.

— Madame !… lui dis-je.

Elle me regarda par un mouvement convulsif.

— J’ai coupé sur sa tête, continuai-je, une mêche de cheveux que voici !…

Et je lui présentai ce dernier, cet incorruptible lambeau de celui qu’elle aimait.

Ah ! si vous aviez recu, comme moi, les larmes brûlantes qui tombèrent alors sur mes mains, vous sauriez ce que c’est que la reconnaissance, quand elle est si voisine du bienfait !…