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REVUE DES DEUX MONDES.

— Oh ! cela est impossible !… s’écria-t-elle, en laissant échapper un léger sourire qui n’était rien moins que franc.

Tout-à-coup elle ressentit une sorte de frisson, me jeta un regard fauve et prompt, rougit et dit.

— Il est vivant !…

Grand Dieu ! quel mot terrible ! j’étais trop jeune pour en soutenir l’accent, je ne répondis pas, et regardai cette malheureuse femme d’un air hébété.

— Monsieur !… monsieur !… s’écria-t-elle, une réponse !

— Oui, madame…

— Cela est-il vrai ?… oh ! dites-moi la vérité, je puis l’entendre, dites !… toute douleur sera moindre que mon incertitude !

Je répondis par deux larmes que m’arrachèrent les étranges accens dont ces phrases furent accompagnées.

Elle s’appuya sur un arbre en jetant un faible cri.

— Madame, lui dis-je, voici votre mari !…

— Est-ce que j’ai un mari !…

Et à ce mot, elle s’enfuit et disparut.

— Hé bien ! le dîner refroidit !… s’écria le comte. — Venez, monsieur…

Là-dessus, je suivis le maître de la maison qui me conduisit dans une salle à manger où je vis un repas servi avec tout le luxe auquel les tables parisiennes nous ont accoutumés. — Il y avait cinq couverts : — ceux des deux époux, et celui de la petite fille, le mien qui devait être le sien ; le dernier était celui d’un chanoine de Saint-Denis, lequel, les grâces dites, demanda :

— Où est donc ma nièce ?

— Oh ! elle va venir !… répondit le comte, qui, après nous avoir servi avec empressement le potage, s’en donna une très ample assiettée et l’expédia merveilleusement vite.

— Oh ! mon neveu ! s’écria le chanoine, si votre femme était là, vous seriez plus raisonnable.

— Papa se fera mal !… dit la petite fille d’un air malin.

Un instant après ce singulier épisode gastronomique, et au moment où le comte découpait avec empressement je ne sais quelle pièce de venaison, une femme de chambre entra et dit :