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DE L’ALLEMAGNE.

France, si ce n’est, pour lui échapper, de monter d’un degré plus haut à l’échelle de ses libertés privées, et de s’enfouir sans retour dans la dernière conséquence de son principe vital ? De ce côté, elle a devant elle encore un champ clos, une idée crénelée, un avenir muré pour s’y fortifier et y planer à l’aise. Le continent la pressera, la foulera jusqu’à ce qu’elle soit obligée de déployer pour son salut une forme nouvelle de son droit politique. Vous verrez qu’il faudra, pour résister, qu’elle entraîne derechef les peuples qui l’entourent au nom d’une idée meilleure que la leur, et cachée plus avant au cœur de l’avenir. Quelle qu’elle soit, cette forme mystérieuse où on la pousse, et qu’elle avouera quand elle ne pourra faire autrement, c’est le bouclier magique d’Arioste, qu’un voile recouvre à l’arçon de sa selle, et qui surprendra son ennemi à son enchantement, quand il brillera au soleil. Songez bien que la France s’avance à la tête de tout un mouvement européen. Le reste suit de près. Il est trop tard pour réfléchir, ni pour bouder sa gloire. Le pouvoir a beau regarder en arrière, la France ne peut plus s’arrêter, sans que mille langues étrangères ne lui crient aussi à son oreille à elle : « Marche, marche » ; ni reculer, sans que tous ces peuples acharnés à la suivre ne lui passent sur le corps. Placée entre un démembrement et un nouveau changement de la loi organique, quel pays hésiterait ? La France moins qu’un autre, car la France est le Protée des libertés modernes. Rien ne lui coûte pour changer de forme, en gardant sa pensée. Vous terrassez en elle le génie du dix-huitième siècle, et vous allumez l’incendie de l’empire. Vous éteignez l’empire, et vous retrouvez dans vos mains le génie de 89. Vous lui liez les mains, et son esprit vous submerge ; ou vous tarissez son esprit, et c’est son bras qui vous tue. Il faut choisir : l’Europe d’aujourd’hui croit n’avoir qu’à se pencher de son côté pour la prendre ; et quand l’Europe se baissera pour ramasser son territoire, au lieu de villes et de champs reconquis, elle ne relèvera de terre que des idées armées, et des faits accomplis qui renversent en une heure des royautés d’un jour, comme des royautés de mille années.

Ainsi, en tout cela, la fortune du pays est hors de cause. Les