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qu’ont les bateaux au service des pontons de dépasser toutes leurs manœuvres en accostant. Enfin, à force de travail et de constance, nous avons réussi à passer des amures, des écoutes, à filer nos amarres, et à faire route.

Les vaisseaux anglais qui, jusqu’à ce moment nous avaient fusillés sans cesse, nous ont expédié des péniches qui nous ont envoyé des boulets, depuis l’instant de notre départ à-peu-près jusqu’à celui de notre arrivée. Après une demi-heure de route, nous sommes tombés entre quatre chebecks espagnols de guerre qui louvoyaient pour entrer en baie. Ils nous ont vivement canonnés[1] en nous criant d’amener ; mais nous étions résolus de mourir ou de passer, et nous avons pris terre heureusement après une heure de cette situation périlleuse.

Monseigneur, ceci s’est passé en plein midi, à demi-portée de pistolet de trois vaisseaux de ligne anglais, de deux frégates espagnoles et d’une foule de canonnières. Quoiqu’il ventât grand frais, et que j’eusse toujours fait porter plein ; nous avons demeuré une heure entière. V. Exc., qui se connaît en coups de main, appréciera celui-ci.

Ce que j’en dis, monseigneur, n’est point pour relever cette action aux yeux de V. Exc. en ma faveur, j’en ai déjà été bien payé par le plaisir d’avoir rendu à la liberté ving-cinq officiers et dix soldats français, et par l’accueil vraiment fraternel qu’on m’a fait ici ; mais il est de mon devoir de vous rendre témoignage de la bravoure distinguée de MM. Euryeul, enseigne provisoire, Legras, capitaine du commerce, et des aspirans Vergès, Ville et Belleguy, ainsi que du matelot Sastre. Ces jeunes gens sont remplis de connaissances théoriques ; mais en

  1. Les canonnières ne tirèrent pas sur le bateau. Ici encore M. Grivel se trompa en 1810 ; mais cette erreur et celle que j’ai signalée plus haut sont les seules qu’on puisse relever dans cette pièce intéressante. Une chose dont on peut être sûr, c’est que M. Grivel n’ajouta pas cette circonstance d’un nouveau danger au résumé trop modeste qu’il venait de faire de tous ceux qu’avaient courus les fugitifs, pour produire un plus grand effet. Le paroxisme de la joie dans lequel il était troubla seul un instant ses souvenirs : il a rectifié depuis cette partie de son rapport.