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su s’attrister, soit qu’il eût un ponton pour demeure, soit qu’il portât des pierres sur son dos, à Londres, pour gagner du pain, soit qu’il allât dans une colonie malsaine où le maître d’alors l’envoyait pour mourir, c’était un aide-de-camp du prince de Neufchâtel. Il est maintenant colonel du 11e régiment de ligne. Son nom est Marbot. Il était arrivé à bord de la Vieille-Castille dans un équipage burlesque, qui n’avait pu cependant sembler comique à personne, parce que la mort paraissait être sous ce travestissement. Marbot, arrivé dans une embarcation, ne put monter sur le vaisseau, tant il était faible. On fut obligé de le hisser ; et quand il fut sur le gaillard, c’était pitié de le voir se traînant à peine sur ses jambes faibles et maigres qui ballotaient dans de larges et longues guêtres noires, méchant débris de l’équipement d’un soldat. Ses pieds meurtris étaient emprisonnés dans de vieux souliers que la pitié espagnole (elle était magnifique, la pitié espagnole !) lui avait donnés, ainsi qu’une capote de soldat du train percée de plusieurs balles, et sanglante encore. Il avait faim, le pauvre officier ! sa voix était faible ; ses yeux, ternes et enfoncés dans leur orbite, laissaient à peine deviner leur spirituelle expression ; ses joues étaient creuses à faire peur ! On courut à lui pour l’aider, et un feu roulant de saillies plaisantes fut le premier acte par lequel il se manifesta à ses nouveaux amis. Tout de suite il fut à la mode. Il n’y avait chagrin si profond, misanthropie si invétérée qui ne cédât à ses attaques. C’était un philosophe aimable, un conteur amusant ; la verve de sa gaîté débordait dans les conversations les plus solides. Ce n’est pas que ce fût un homme léger, il passait au contraire pour une des capacités réelles de l’armée ; mais il était gai par tempérament, et pour lui un malheur ne valait pas plus d’un soupir. Il avait été pris par les Espagnols au moment où il remplissait une mission à quelques milles du quartier-général ; des miracles de sang-froid, de courage et de présence d’esprit lui sauvèrent la vie en cette occasion. Il resta peu de temps au ponton. Tous les projets d’évasion échouaient, dénoncés par quelques-uns de ceux qui n’y voulaient point prendre part, ou découverts par la garde espagnole ; chaque jour, cependant, des fuites individuelles