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UN TOUR DE MATELOT.

être ; moi, je m’y trouve mal ! Si j’aime à être sur un navire, ce n’est pas quand il est ponton.

Euryeul regarda le major avec des yeux brillans de colère, et il se tut.

Celui-ci ne riait plus ; mais il coupa court à la conversation, en se levant pour aller fumer sur le pont.

Cet Euryeul était un officier auxiliaire de la marine, enseigne provisoire, qui provenait d’un des bâtimens français que les forts de Cadix et le blocus anglais avaient forcés de se rendre. C’était un homme ardent, loyal, plein de résolution et de persévérance[1]. Il avait affaire à un militaire d’une toute autre trempe. Le major était du nombre de ces officiers, comme il y en eut peu, grâce au ciel, dans l’armée française, mais comme il s’en trouva plusieurs aux pontons de Cadix, à qui une position élevée semblait avoir ravi toute leur énergie.

Ceux-là constituaient un parti qu’il faudrait appeler le parti de la peur, s’ils ne lui avaient eux-mêmes donné le nom respectable de parti de la prudence. Après tout, il ne faut pas être trop sévère pour ces politiques. Ce n’étaient pas des jeunes gens, mais des hommes déjà fatigués de la vie des camps, que Napoléon avait menés à sa suite de l’Égypte en Prusse, et qu’il avait envoyés en Espagne faire une détestable guerre.

Plusieurs approchaient de l’époque où le repos est doux, et où on le cherche volontiers quand on n’a pas de ces hautes ambitions, qui ne se trouvent satisfaites que par de grandes fortunes et les premiers rangs dans la hiérarchie militaire. Quelques-uns avaient pris assez gaillardement leur parti d’un malheur qui les menait sans marches forcées, sans chances meurtrières, à la retraite où ils aspiraient ; car la captivité entrait en ligne de compte avec les services actifs pour la retraite.

Ces messieurs attendaient que le dieu des batailles protégeât la France dans la Péninsule, et vînt les tirer des pontons. Ils riaient de l’exaltation de leurs jeunes compagnons d’infortune qui ne savaient pas se résoudre comme eux à l’ennui de la pri-

  1. M. Euryeul est mort.