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DE L’ALLEMAGNE.

s’affranchit davantage, il arrive en France où il règne trois siècles ; en France, c’est-à-dire chez le peuple le plus mélangé qu’on eût encore vu, moitié ancien, moitié moderne, moitié nord, moitié midi, espèce de Janus à la langue demi latine, demi tudesque, placé sur la limite de deux mondes, autant pour les unir que pour les séparer. Et aujourd’hui que la dernière tradition est brisée, aujourd’hui que le monde vient de marcher d’un pas, on ne veut pas voir que l’on fait tout ce qu’il faut pour amener, s’il se peut, la France à abdiquer l’avenir entre les mains des nations germaniques.

Aussi, il faut avoir vécu à l’étranger pour consentir à ajouter ce qui me reste à dire. Chez nous, quoi qu’il arrive, nous sentons battre le cœur du pays, et s’il se tait aujourd’hui, nous pensons en nous-mêmes : « C’est pour demain ». Sous le pouvoir qui l’ignore, nous sentons une nation invisible, tant elle est près de terre. Mais au dehors, l’Europe qui nous mesure par l’action du pouvoir, après s’être exagéré son péril, s’exagère sa bonne fortune à elle. Il faut la voir chez elle se lever chaque matin, peuples et rois, pour regarder si la France n’est pas encore à terre, si ses provinces ne se sont pas détachées dans la nuit, si dans ce délabrement qu’ils se figurent de loin, il ne va pas tomber quelque lambeau à leur merci. Certes, il y a de quoi se rassurer, et l’on ne songe nullement à nous attaquer debout. La pression sociale de la France sur le reste de l’Europe ayant manqué tout d’un coup au monde politique, on s’y épuise au dehors en mille conjectures pour savoir comment ce grand pays a disparu et ce qui va se montrer à sa place. Ne craignez plus les haines, c’est un immense apitoiement sur une si étrange défaite. « On n’en demandait pas tant, tout cela n’était pas exigé ; on aurait pardonné à moins » ; car il faut bien que ceux qui le savent en avertissent tout haut ceux qui l’ignorent. Sous la restauration, nous étions protégés au dehors par l’ombre de l’empire et par nos propres débris. Aujourd’hui, il nous faut étouffer chez nous, si nous ne voulons pas que la rougeur nous monte au front. Adieu les pays éloignés, les sciences et les idées échangées, les patries adoptives, les retraites étrangères où nous