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n’était autre que celle de la sociabilité même ; il n’aurait pas relégué la démocratie dans la société pour lui interdire le gouvernement ; cette admirable politique n’est guère qu’une antidate de cinquante années ; elle mériterait les suffrages de M. le duc d’Aiguillon ou de M. de Maurepas. Rétablissons les choses. La démocratie, c’est-à-dire la majorité de la nation, augmente incessamment ses droits à mesure qu’elle augmente ses lumières. Elle a commencé par obtenir l’affranchissement de sa condition civile ; elle travaille, en ce moment, à la conquête de la direction sociale ; n’ayez pas peur, elle ne l’obtiendra véritablement, et ne la gardera que lorsqu’elle en sera digne. Ces essais dont M. Royer-Collard a fait une peinture disgracieuse, malveillante et infidèle, témoignent de ce travail de la société française pour parvenir à s’incorporer dans son gouvernement. Si la démocratie s’est montrée violente, guerrière, banqueroutière, elle préludait, elle faisait son apprentissage, elle l’a payé assez cher pour en tirer quelque parti et ne pas s’arrêter en chemin. Il était digne d’un philosophe de comprendre cette marche irrésistible ; enseignez la démocratie, ne la flattez pas, donnez-lui des conseils austères, mais reconnaissez son droit de mesurer sa puissance à ses lumières.

Distinguer radicalement la société du gouvernement est une vieillerie féodale, une réminiscence involontaire de l’époque où la société se composait des vaincus, où le vainqueur gouvernait : alors on disait du gouvernement ce que Beaumarchais écrivait de la noblesse : qu’un grand nous fait toujours beaucoup de bien quand il ne nous fait pas de mal. Alors le gouvernement avait son intérêt, la société le sien ; alors la minorité gouvernante était suppliée ou sommée par la majorité qui obéissait, de lui donner au moins des garanties. M. Royer-Collard a souvent répété que les gouvernemens sont des garanties, et qu’à ce titre seul ils doivent être estimés. C’est chercher la règle de ce qui doit être dans ce qui a été ; c’est ne voir que le côté négatif du pouvoir, c’est en méconnaître l’initiative, dont la conquête et le maniement appartiennent à l’intelligence ; c’est là le droit divin de notre siècle.