Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/412

Cette page a été validée par deux contributeurs.
398
REVUE DES DEUX MONDES.

Je crois que cette petite pièce, en passant de l’état forcé d’histoire à l’état d’anecdote qui lui était naturel, a gagné en durée de représentations et de réputation, autant à proportion qu’il perd en durée d’actions. Grâces soient rendues aux hommes vraiment courageux, qui ont ainsi coupé à leur jolie grisette l’extrémité traînante de sa queue par trop longue. La grisette marchera maintenant plus légèrement et ne laissera d’autres impressions au public que celles qui sont vraies, justes, simples et bien saisies, et non les craintes communes et usées que l’on avait tentées dans les deux derniers actes supprimés, et qui auraient infailliblement tué la pièce, si une pièce quelconque pouvait tomber quand son premier rôle est joué avec autant de perfection que l’a été celui de la Dubarry.

Dans la quantité d’auteurs qu’a le bonheur de posséder cette pièce naguère biographique, il est impossible de démêler à qui appartient le mérite du sacrifice ; mais le public, qui l’a obtenu par le moyen magique dont j’ai parlé, jouit à présent, chaque soir, paisiblement d’une anecdote en trois actes, dont nous allons dire un mot.

Au premier acte, Jeanne est assise au milieu de ses compagnes, joue au gage touché, perd, et raconte son histoire, celle de son couvent, de ses amitiés, d’un petit amour aussi pour un petit niais nommé Mathon, qui l’invite à un bal bourgeois au quatrième étage, tandis que le comte Jean Dubarry médite de la faire inviter au bal de la cour. Jeanne est déjà fille autant qu’on peut l’être dans son ton, ses allures, son impertinence, son mépris pour le sentimental jouvenceau, et son amour du plaisir. Elle persifle une ancienne compagne devenue marquise de Saint-Sorlin ; puis prend le bras de l’intrigant Toulousain, ce comte Jean qui l’enlève au comptoir pour la jeter dans un carrosse, et de là à la cour. — Voilà ce qu’on appelle un acte. — Madame Dorval y est de l’originalité la plus imprévue ; sa gaîté sérieuse fait rire sans qu’elle sourcille, par la brusquerie des réparties, le ton, le geste hardi, la franche bonhomie, le laisser-aller de la démarche et toute l’insouciance d’une joyeuse grisette prête à tout ce qu’on veut, pourvu qu’on l’amuse.

Or, pendant la métamorphose du Vaudeville en drame, disons tout bas, qu’on avait fait paraître dans cet acte, à travers les vitres, la figure d’un jeune et joli bourreau, mais n’en parlons plus, il n’en est plus question, c’est fini, tout est oublié.

Le second acte est la première entrevue de Jeanne et du roi. Sous le masque, la nuit et les charmilles, elle continue la conversation commencée par madame de Saint-Sorlin, et lui souffle le cœur royal. La petite bourgeoise paraît encore sous ses beaux habits et son panier de grande dame, et tout effrontée qu’elle est, elle est tentée de s’enfuir lorsqu’il s’agit de parler à Louis xv ; elle se hasarde enfin, et alors elle parle son petit langage piquant et hardi. Il n’y a rien de bien remarquable dans ce que la pièce lui fait dire, mais le ton qu’elle y met est d’une nouveauté et d’un esprit qu’on ne saurait trop louer. Certes, si le roi m’aimait, je serais ravie, enchantée ; mais je voudrais que de son côté, le roi fût aussi ravi, enchanté. Ceci est une citation. — Cela n’est pas