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REVUE. — CHRONIQUE.

à jouer que celui d’Alceste, et n’échapperont pas au ridicule et à la moquerie.

À coup sûr personne ne peut prétendre à sympathiser plus vraiment avec la destinée de Gilbert que M. Alfred de Vigny. L’auteur de Cinq-Mars a pu dire du satirique méconnu et persécuté ce que Didon disait des malheurs d’Énée ; et voyez pourtant ce qu’il a trouvé dans la mort de Gilbert ! une admirable élégie, rien de moins ou rien de plus.

Le Gilbert de M. Saint-Maurice, malgré la préface ambitieuse qui le précède, ne présente aucun renseignement nouveau. C’est une promesse trompeuse comme les promesses d’ambassadeur ou de ministre ; de roman, il n’y en a pas l’ombre. Il n’y a dans huit cents pages qu’une situation unique, Gilbert qui meurt de faim et de folie, et encore ne comprend-on pas que son cerveau se dérange ou que ses entrailles crient, puisque l’auteur prend soin de nous dire que son héros touche une pension de cinquante louis, et possède l’affection d’une femme belle et jeune. En 1780, comme aujourd’hui, et mieux qu’aujourd’hui, il y avait là de quoi être heureux. L’archevêque de Paris, le curé de Charenton, le chanoine Marion, sont tout au plus des personnages de mélodrame ou de vaudeville, mais ne relèvent pas l’histoire ; Imbert et Greuze qui ne paraissent qu’un instant sur la scène, témoignent que M. Saint-Maurice n’a guère fréquenté les journalistes et les peintres. La dernière scène qui se dénoue à l’amphithéâtre, accuse la même ignorance à l’égard des médecins. Les études anatomiques se font sérieusement, et ne ressemblent pas à des espiègleries d’écoliers.

Et cependant ce livre, écrit d’un style commun, en périphrases arrondies, n’est pas absolument sans intérêt. C’est une réalité plate et triviale, bien au-dessous du sujet. Mais à ce qu’il semble, l’auteur n’a regretté pour l’accomplissement de sa tâche, ni travail, ni réflexion ; il a fait de son mieux, et ce n’est pas sa faute, s’il n’a pas plus de poésie en tête, s’il en est encore en 1832, aux épigrammes de Voltaire, aux déclamations de Diderot, et s’il n’a pas retrouvé le secret du style de Candide ou de Jacques le fataliste. — Il devrait s’en tenir à l’histoire, et laisser là le roman où il n’entend rien.