Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/405

Cette page a été validée par deux contributeurs.
391
REVUE. — CHRONIQUE.

de la celtomanie. L’on ne trouvera dans son ouvrage que des notions exactes. Il a réduit considérablement les exagérations auxquelles se sont livrés la plupart de ses prédécesseurs. Je ne citerai que ces fameuses pierres de Carnac, que plusieurs auteurs (entre autres Higgins, Celtic Druids, in-4o) ont portées au nombre de quatre mille. M. de Fréminville n’en compte que douze cents : c’est la version suivie par M. de Caumont. Il en réduit aussi la hauteur. Les plus élevées ont, non pas vingt-cinq pieds, comme on l’a dit, mais tout au plus quinze. L’auteur de cet article a eu occasion de vérifier lui-même l’exactitude de ces assertions.

La sévère critique de M. de Caumont lui a fait écarter la plupart des conjectures arbitraires qu’on a formées sur la destination de ces monumens. J’aurais voulu qu’en repoussant les hypothèses scientifiques, il eût traité moins sévèrement les traditions populaires. Je lui aurais su gré de rapporter quelques-uns des souvenirs historiques qui ont consacré les monumens analogues de la Grande-Bretagne et de l’Irlande. Ces pierres, muettes chez nous, ont encore une voix dans les îles britanniques. On conserve celle sur laquelle était couronné le lord des îles, et l’on y voit encore la trace de ses pieds. La pierre des rois de Munster subsiste près la cathédrale de Cashel ; celle des rois d’Écosse à Westminster. À en croire les Irlandais, elle était d’abord dans leur île ; selon d’autres, dans l’île sainte des tombeaux à Iona. De là elle fut transportée dans le comté d’Argyle, puis à Scone où l’on couronnait les rois d’Écosse. Enfin Édouard Ier l’a enlevée, et l’a placée à Londres. C’est un vieil adage chez les Écossais : la race libre de l’Écosse fleurira, si l’oracle n’est point menteur ; partout où sera la pierre de destinée, ils prévaudront par le droit du ciel. — L’oracle n’a point menti : l’Écosse, mariée à son ancienne rivale, est entrée en partage de la domination des mers.

En Irlande, une tradition moins sérieuse a consacré ces monumens. La fille d’un roi s’était enfuie avec son amant ; poursuivie par son père, elle passait de village en village, et cherchait tous les soirs un nouvel asile. Tous les soirs, les hôtes lui dressaient un lit sur la roche, et ces pierres monumentales sont restées pour porter témoignage de leurs fugitives amours.

En Écosse et dans les Orcades, la plupart de ces pierres portent des noms historiques et sont considérées comme des tombeaux. Les montagnards révèrent encore la pierre d’Ossian (Clachan Ossian). Ce fut un grand scandale quand le major Wade déplaça ce monument sacré, qui se trouvait dans la ligne d’une route militaire. Les montagnards indignés vinrent en grand nombre recueillir quelques ossemens et douze fers de flèches qu’on avait trouvés sous la pierre, Ils les emportèrent au son du piobrach, et les placèrent dans un cercle de larges pierres au sommet d’un roc, dans les déserts du Glen Ammon occidental. Au centre, ils dressèrent un roc énorme, un cairn (comme ils disent), et appelèrent le tombeau du barde, cairn na huseoig, le cairn de l’hirondelle.


michelet