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L’ABBÉ DE LA MENNAIS.

en lui rendant hommage en mille points, en se signant ses fils aînés, on se posa en face d’elle comme pouvoir indépendant, à jamais légitime de père en fils, sur la terre. La plupart des théologiens prêtèrent leurs subtilités à ce système bâtard ; quelques autres par ressouvenir du passé, deux ou trois par sentiment d’avenir, s’élevèrent pour le combattre ; tels Fénelon et M. de La Mennais. Je m’attache à celui-ci. La difficulté pour lui était grande : il comprit assez vite dans son essor progressif, qu’après une révolution comme la nôtre, l’émancipation des peuples était signifiée hautement et que la paternité tutélaire des Boniface viii et des Grégoire vii ne pouvait se rétablir, même en supposant acquise la docilité des rois. Il sentit que dans l’âge futur régénéré l’union de l’ordre de justice et de vérité avec l’ordre matériel n’aurait plus lieu que par un mode libre et nouveau, convenable à la virilité des peuples ; il avait hâte d’ailleurs de voir tomber ces liens adultères qui, enchaînant un timide ou cupide clergé à un pouvoir enivré de lui-même, retardaient l’éducation spirituelle si arriérée et le ravivement du christianisme. Mais, ayant en face de lui un pouvoir temporel qui se disait à tout propos très chrétien et un parti libéral, révolutionnaire, à qui il supposait au contraire des intentions très anti-chrétiennes, il n’eut d’autre marche à suivre que d’opposer d’un côté aux champions de la souveraineté du peuple quand même, la souveraineté de l’ordre d’esprit et de justice, et d’un autre côté, de parler aux défenseurs soi-disant chrétiens de l’obéissance passive le langage catholique sur l’admissibilité des pouvoirs et la suprématie d’une seule loi. Mais, on le sent, la position restait toujours un peu fausse : s’il était victorieux séparément contre les légitimistes purs et les purs disciples du contrat social, on avait droit de lui demander, à lui, où il plaçait le siége de cette loi suprême, et, comme c’était à Rome, on pouvait lui demander encore par quel mode efficace il la faisait intervenir dans le temporel ; car alors elle intervenait nécessairement, le roi de France étant le fils aîné de l’église et la confusion des deux ordres s’accroissant de jour en jour par les efforts de sa piété égarée. M. de La Mennais ne prétendait