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L’ABBÉ DE LA MENNAIS.

jamais vécu en effet de cette vie qui fut la nôtre, de cette atmosphère habituelle de philosophie et de révolution où plongea le siècle. Jamais la lecture de Diderot ne le mit en larmes, et ne se lia dans sa jeune tête avec des rêves de vertu ; jamais les préceptes de d’Alembert sur la bienfaisance ne remplacèrent pour son cœur avide de charité l’épître divine de saint Paul ; Brissot, Roland, les Girondins, ne lui parlèrent à aucune époque comme des frères aînés et des martyrs. Ses passions profanes eurent sans doute elles-mêmes un caractère d’autrefois ; il les combattit, il les balança long-temps, il les cicatrisa enfin par des croyances. Prêtre après des années d’épreuves et d’acheminement, son fameux Essai sur l’Indifférence, qui fit l’effet au monde d’une brusque explosion, ne fut pour lui qu’un développement complet et nécessaire. L’auteur s’y place sans concessions, et aussi haut que possible, au point de vue unique de l’autorité et de la foi ; c’était en effet par où il fallait ouvrir la restauration catholique. Au milieu d’imperfections nombreuses, et dont M. de La Mennais est le premier à convenir aujourd’hui, telles que des jugemens trop acerbes, d’impraticables conseils de subordination spirituelle de l’état à l’église, et une érudition incomplète, quoique bien vaste, et arriérée en quelques parties, ce grand ouvrage constitue la base monumentale, le corps résistant d’où s’élèveront et s’élèvent déjà les travaux plus avancés de la science chrétienne. Tout ce qui est de l’ordre purement théologique et moral y présente une texture de vérité absolue, une immuable consistance qui ne vieillira pas. Cette fameuse théorie de la certitude contre laquelle on s’est tant récrié, et que nous n’avons pas la prétention d’approfondir ici, n’a rien de choquant que pour l’orgueil, si on la considère sincèrement, et qu’on la sépare de quelques hardiesses tranchantes qui ne sont pas essentielles. M. de La Mennais ne nie pas la raison de l’individu, et la certitude relative des sensations, du sentiment, et des connaissances qui s’y rapportent. Il ne dit pas le moins du monde, comme le suppose l’auteur d’ailleurs si impartial et si sagace d’une histoire de la philosophie française contemporaine : « Voilà des personnes dignes de foi, croyez-les ; cependant n’oubliez