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L’ABBÉ DE LA MENNAIS.

l’étude, de la lecture et de la piété. Il commença de s’appliquer au latin, mais bientôt les évènemens de la révolution le privèrent de maîtres ; il était à peine capable de sixième ; son frère, un peu plus avancé que lui, le guida pendant quelques mois et le mit presque tout de suite aux Annales de Tite-Live. Après quoi le jeune Félicité ou Féli comme on disait par abréviation[1], livré à lui-même et altéré de savoir lut, travailla sans relâche et se forma seul. C’était à la campagne, chez un oncle qui avait une belle bibliothèque : l’enfant s’y introduisait, enlevait les livres et les dévorait ; il ne se couchait qu’avec son volume. Pièces de théâtre, romans, histoire, voyages, philosophie et sciences, tout y passait, tout l’intéressait ; mais il goûtait les Essais de morale de Nicole, plus que le reste : à dix ans, il avait lu Jean-Jacques, mais sans en rien conclure contre la religion. On voit d’où lui viennent les habitudes solides et anciennes de son style. Il s’essayait dès-lors à de petites compositions, sur le Bonheur de la vie champêtre par exemple. Vers douze ans, il apprit le grec et parvint à le savoir très bien sans autre secours que les livres. Sa dévotion, malgré tant de lectures mélangées, continuait d’être pure ; il allait souvent en secret adorer le Saint-Sacrement dans des chapelles d’alentour. Mais plus tard ayant été placé chez un curé du pays à l’époque de sa première communion, les développemens qu’il entendit éveillèrent sa contradiction sur quelques points ; l’amour-propre se mit en jeu ; les argumens philosophiques qu’il avait lus lui revenaient en mémoire. Pourtant en 1796 ou 97, il envoyait au concours de je ne sais quelle académie de province un discours dans lequel il combattait avec beaucoup de chaleur la moderne philosophie, et qu’il terminait par un tableau animé de la Terreur. L’âge des emportemens et des passions survint ; il le passa, à ce qu’il paraît, dans un état, non pas d’irréligion (ceci est essentiel à remarquer), mais de conviction rationnelle sans pratique. Le christianisme était devenu pour le jeune homme une opinion très probable qu’il défendait dans le monde, qu’il produisait en con-

  1. Ses disciples entre eux l’appellent encore maintenant M. Féli.