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L’ABBÉ DE LA MENNAIS.

« Vous êtes à l’âge où l’on se décide ; plus tard on subit le joug de la destinée qu’on s’est faite, on gémit dans le tombeau qu’on s’est creusé, sans pouvoir en soulever la pierre. Ce qui s’use le plus vite en nous, c’est la volonté. Sachez donc vouloir une fois, vouloir fortement ; fixez votre vie flottante et ne la laissez plus emporter à tous les souffles comme le brin d’herbe séchée. » Ce conseil donné quelque part à une âme malade par le prêtre illustre dont nous avons à nous occuper, pourrait s’adresser à presque toutes les âmes en ce siècle où le spectacle le plus rare est assurément l’énergie morale de la volonté. Le xviiie siècle, lui, en avait une et bien puissante au milieu des incohérences ; il la déploya dans des voies de révolte, il l’épuisa à des œuvres de destruction. Notre siècle, à nous, en débutant par la volonté gigantesque de l’homme dans lequel il s’identifia, semble avoir dépensé tout d’un coup sa faculté de vouloir, l’avoir usée dans ce premier excès de force matérielle, et depuis lors il ne l’a plus retrouvée. Son intelligence s’est élargie, sa science s’est accrue ; il a étudié, appris, compris beaucoup de choses et de beaucoup de façons ; mais il n’a plus osé, ni pu ni voulu vouloir. Parmi les hommes qui se consacrent aux travaux de la pensée et dont les